Il est clair que les chefs d'entreprise n'ont pas attendu le résultat des discussions paritaires nationales pour lâcher du lest dans la gestion sociale. Nombreuses sont aujourd'hui les firmes qui pratiquent la flexibilité au quotidien. Les exemples sont multiples. Moulinex a introduit le temps partiel depuis février 1981 et, dans ses douze usines, près d'un cinquième du personnel travaille aujourd'hui dans ces conditions. Merlin Gérin a instauré un aménagement du temps de travail par un accord signé par la CFDT, la CGC et FO proposant aux volontaires une organisation sur six jours hebdomadaires en quatre équipes de quatre jours. Chaque équipe travaille neuf heures par jour pendant quatre jours, soit trente-six heures par semaine, sans perte de salaire. Dans les laboratoires d'Yves Rocher, l'annualisation du temps de travail a été adoptée, permettant ainsi une modulation des horaires sur l'année.

Bien entendu, beaucoup de ces dispositifs dérogent à l'ordonnance de janvier 1982 sur les 39 heures hebdomadaires ou sont carrément illégales. Ainsi, depuis 1983, aux Mutuelles unies, la semaine est fixée à 37 heures. Mais ce cadre est formel, puisque l'horaire mobile permet un calcul annuel du travail en fonction des impératifs de production. La gestion du temps de travail d'un salarié ressemble ainsi à celle d'un compte en banque avec ses débits et ses crédits. En dépit de son caractère non conforme aux textes, sur les 880 salariés de cette compagnie d'assurances, 3 seulement sont restés à l'horaire fixe. En Vendée, Albert S. A. a proposé une nouvelle formule de temps partiel : un mi-temps annuel vécu à temps plein six mois sur douze. Ne s'insérant dans aucun cadre juridique existant, cette initiative permet de couvrir les variations du plan de charge de cette entreprise d'habillement. Suivant ce régime, les embauchés travaillent à plein temps du 15 avril au 15 juillet et du 15 décembre au 15 mars, soit un total de six mois en deux périodes correspondant aux pointes saisonnières. En période de travail, les salariés travaillent 42 heures par semaine et, hors de période de travail, ils ont bien entendu la liberté de s'adonner à un autre emploi (ce qui dans cette région touristique leur est favorable). Autre exemple, l'accord signé le 28 juin 1985 dans les travaux publics organise la flexibilité indispensable à cette branche d'activité. Il se décompose en clauses générales, qui s'imposent à toutes les entreprises, et en clauses optionnelles, applicables par unités homogènes de production. Le volume d'heures travaillées est calculé en termes annuels (1 770 heures). Cet horaire reste collectif par unité de production. Il est fixé à cinq jours consécutifs et deux jours de repos également consécutifs ; les heures supplémentaires sont autorisées dans la limite maximale des 130 heures habituelles. Mais ce sont bien évidemment les clauses optionnelles applicables uniquement avec avis favorable des représentants du personnel qui sont originales. L'horaire peut être aménagé sur quatre jours. Les repos compensateurs acquis par un travail sur six jours peuvent être cumulés jusqu'à cinq jours de repos consécutifs indemnisés à 50 %. Les suppléances de fin de semaine sont organisées : 30 heures payées 40 pour les vendredi, samedi et dimanche ou les samedi, dimanche, lundi ; 24 heures (2 fois 12) le samedi et le dimanche payées 36 heures. Le travail peut être organisé en deux ou trois équipes. Enfin, pour adapter les équipes au volume d'activité, il est possible de réduire l'horaire hebdomadaire jusqu'à 32 heures. Les salariés perçoivent alors une rémunération sur 39 heures (le trop-perçu constituant une avance sur les salaires des périodes où l'horaire de travail dépassera les 39 heures). Comme on le voit, un régime effectivement flexible. Mais peut-il être mis en œuvre ?

Le futur de la flexibilité

La question de la flexibilité engage bien évidemment l'avenir.

À l'occasion du congrès organisé en mars 1985 par l'Institut de l'entreprise sur le thème l'Entreprise dans dix ans, Jacques Lesourne indiquait : « Trois aléas continuent à peser sur l'avenir des entreprises françaises, celui de l'évolution de la Communauté européenne, celui du fonctionnement du marché du travail, enfin, celui des formes d'intervention de l'État. » Et il ajoutait : « Beaucoup de Français devront accepter de subir les conséquences de leurs échecs, être rémunérés selon leur mérite et faire preuve de mobilité. »