Industrie

Entreprises

Le mal français

Qu'ils soient privés ou publics, les « géants » ont infiniment moins bien résisté à la crise que les « poids moyens ». Sur les 100 premiers groupes français, une trentaine perdent de l'argent, et ils en perdent plus que ne gagnent tous les autres groupes bénéficiaires réunis. Dans les deux industries pilotes de l'économie mondiale — l'automobile et l'électronique —, la France est carrément en recul, quand ce n'est pas en chute libre.

Les pertes de Renault et Peugeot contrastent de manière dramatique avec l'insolente santé financière de General Motors, Ford, Toyota, Nissan ou Mercedes. Une situation d'autant plus préoccupante que l'automobile est devenue en un quart de siècle le pivot du modèle industriel français. Instrument d'aménagement du territoire, de financement de budget de l'État et d'équilibre du commerce extérieur, l'industrie automobile emploie directement 10 % de la population française. Ses faiblesses structurelles lui ont hélas fait rater la spectaculaire reprise mondiale de 1984 (42 millions de véhicules produits dans le monde, un record). Situation plus préoccupante encore sur les marchés de l'informatique, de la bureautique et des télécommunications, secouées par le choc frontal entre les deux colosses IBM et ATT.

À l'inverse, la grande révélation de 1984, c'est la confirmation de la bonne santé de l'industrie agro-alimentaire. La France aura dû attendre le plus fort de la crise industrielle pour comprendre que son premier atout pour le futur résidait dans l'agro-industrie. Après la distribution intégrée — Auchan, Carrefour, Leclerc, Promodès —, voilà une spécialité française ignorée des auteurs du programme commun. Qui aurait prédit il y a dix ans le succès international de BSN, Moët-Hennessy, Pernod-Ricard ou Bongrain ? Une réussite entièrement privée, l'État tuteur de l'industrie n'ayant eu à distribuer ni directives ni faveurs.

L'irrésistible ascension des firmes de l'agro-alimentaire, la belle carrière des fabricants de produits de grande consommation (Bic, Essilor, Rossignol, Majorette, André ou Salomon), rien de tout cela ne figurait dans les cartons des grands commis de l'État chargés de la politique industrielle depuis trente ans. Au service de la droite interventionniste avant 1981, cachant mal leur sympathie pour les nationalisations socialistes, ils se trouvent aujourd'hui déroutés par un modèle de développement qui ne fait plus la part belle aux grands programmes d'équipement d'autrefois (nucléaire, téléphone, etc.). La déréglementation des marchés partout dans le monde et l'abaissement massif des prix de revient dans la microélectronique bouleversent radicalement le paysage industriel. La flexibilité et l'innovation comptent désormais tout autant que la masse critique. Elles coexistent cependant assez mal avec les lourdes structures hiérarchiques des géants français. C'est la nouvelle version du « mal français ».

Jacques Barraux

Aéronautique

Les appareils de demain

La dégradation lente, mais continue, du plan de charge de l'industrie aéronautique s'est poursuivie. Elle entraîne une aggravation du chômage technique et se répercute inévitablement dans l'industrie de la sous-traitance. La diminution des commandes à l'exportation, militaires principalement, a été importante ; elle suffit d'autant plus à justifier la baisse du plan de charge que, pour limiter le plus possible les conséquences de cette baisse sur l'emploi, certaines fabrications avaient parfois été lancées sans que les commandes correspondantes aient été enregistrées : d'où le stockage d'un grand nombre d'hélicoptères et d'une vingtaine d'Airbus, stocks qu'il faudra impérativement résorber avant le retour au plein-emploi.

Programme Airbus

L'année 1984 a cependant été fertile en événements et a démontré la vitalité d'une industrie résolue à se battre pour préserver ses positions sur l'échiquier mondial. Dans le domaine des avions civils, le programme du petit Airbus, l'A 320, a été enfin officiellement lancé le 12 mars par le Consortium Airbus Industrie, avec les garanties financières nécessaires accordées par les gouvernements allemand, britannique, espagnol et français. Cinq compagnies : Air France, Air Inter, British Caledonian, Cyprus Airways et Inex Adria (Yougoslavie) ont immédiatement confirmé ou passé commande du nouvel avion, qui volera début 1987 et entrera en service au printemps 1988. Le moteur monté en premier sera le futur CFM 56-5 du consortium CFM International (General Electric + SNECMA), qui, devant la surenchère du consortium international IAE, regroupant des motoristes britannique, japonais, allemand, américain et italien, a dû améliorer son projet.