Cette lutte fratricide serait pain bénit pour les résistants, si eux-mêmes n'étaient tout autant divisés. Malgré l'admission du professeur Rabbani, chef du Jamiat-e-Islami, comme seul représentant de la résistance afghane à la conférence islamique de Casablanca en janvier 1984, l'opposition au régime de Kaboul reste, en effet, disparate. Le Jamiat-e-Islami (modéré) et le Hezbi Islami de Gulbuddin (intégriste) annoncent bien leur réconciliation, le 17 août. Mais cette annonce ne sera suivie d'aucun effet. Pas plus que le projet du roi Zaher Shah, en exil à Rome, de réunir une grande assemblée, la Loga Jirga.

La résistance

Les nécessités de la guerre font certes progresser la coopération militaire sur le terrain. Les dirigeants de Peshawar, installés au Pakistan, continuent de jouer un rôle capital pour la distribution des vivres et des armes. Si le niveau d'armement fait quelques progrès, la résistance afghane manque malgré tout de munitions et de moyens. Elle réussit pourtant à se maintenir dans plusieurs régions. Il ne s'agit plus de bandes armées, mais d'unités combattantes organisées. Chacune a ses propres services de renseignements, chacune garde aussi souvent jalousement ses informations...

Attaque à la roquette contre l'ambassade soviétique en février, attentat à l'aéroport de Kaboul (près de 40 morts) le 31 août : la résistance est capable de mener des actions d'éclat. Mais elle accuse le coup dans le Paktia, la province frontalière avec le Pakistan, où, depuis le début de l'automne, les Soviétiques lancent une gigantesque opération de contrôle des frontières couplée avec une nouvelle offensive dans le Panshir.

Le Pakistan pilonné

Les Soviétiques frappent maintenant souvent au-delà de la frontière en vue de couper la résistance de ses bases arrière et de susciter une réaction de rejet chez les Pakistanais.

De fait, journalistes et organisations humanitaires rencontrent plus de difficultés qu'auparavant au cours de leur passage au Pakistan. Pour la première fois, une équipe de Médecins sans frontières, en route pour l'Afghanistan, est expulsée par les Pakistanais. Suit l'arrestation, le 17 septembre, en territoire afghan de Jacques Abouchar, journaliste d'Antenne 2, qui, libéré, devait retrouver la France le 27 octobre, après un simulacre de procès et une condamnation à 18 ans de prison. Quant au président pakistanais, le général Zia ul-Haq, il parle de la ligne de crêtes pakistano-afghanes comme de « notre frontière commune avec l'URSS ». Son gouvernement proteste officiellement contre celui de Kaboul après le bombardement soviéto-afghan du bazar pakistanais de Tori-Mangal, le 28 septembre (82 tués, 45 blessés). Mais ni le Pakistan ni ses bailleurs de fonds saoudiens ne font quoi que ce soit pour unifier la résistance afghane, qu'ils pensent pouvoir mieux contrôler en la maintenant divisée.

L'ombre de l'Iran

Ces résistants, parfois qualifiés de rebelles ou de simples réfugiés, regardent aussi du côté de l'Iran, dont la frontière s'est ouverte en 1984, laissant passer hommes et armements. On ne peut pas encore parler d'ouverture d'un deuxième front, car les admirateurs de Khomeiny, regroupés au sein du Nasr (Victoire), se contentent pour l'instant de rogner l'autorité des chefs traditionnels, plutôt que d'affronter les forces soviéto-afghanes. Sans doute, tant que la guerre Iran-Iraq se poursuit, il ne faut pas attendre de bouleversement de la part de Téhéran, mais après...

Au-delà de ces voisins immédiats, le destin des Afghans dépend aussi des rapports Est-Ouest. Les États-Unis ont levé cette année l'embargo sur la pêche et les céréales, pris à rencontre de l'URSS après 1979, et le président Reagan a plaidé le dossier afghan avec moins de ferveur dans son discours à la session de septembre de l'ONU. Certes, le Congrès a voté 50 millions de dollars d'aide à la résistance en 1984, mais la réélection de Ronald Reagan pourrait porter un coup dur aux moudjahidin. Car le second mandat du président républicain risque, comme celui de R. Nixon à partir de 1972, d'être marqué par un réchauffement des relations entre Moscou et Washington, dont les Afghans feraient les frais.

Un cauchemar

Tant que les États-Unis ne décideront pas de favoriser la formation d'un gouvernement afghan en exil, voire d'encourager la création d'une OLP afghane, la résistance sera vouée à la défense d'une cause perdue d'avance. Le temps travaille pour l'Armée rouge, et l'image de l'Union soviétique ne s'est pas beaucoup détériorée dans les pays islamiques.