La Nouvelle Amérique est plus que jamais confrontée à ses problèmes économiques, dont la dette extérieure de 100 milliards de dollars n'est que l'indice le plus voyant. Le revenu par tête a baissé de 12 %, tandis que l'inflation n'a jamais été aussi forte : 200 %. Dans ces conditions, comment rembourser la dette, dont les intérêts s'élèvent annuellement à plus de 11 milliards de dollars ? Le tout-puissant FMI, qui impose une politique d'austérité très impopulaire, est pendu en effigie dans les carnavals et les fêtes religieuses.

L'endettement provoque un phénomène en spirale qui ressemble à un cercle vicieux. Pour dégager des devises, il est nécessaire d'obtenir un excédent de la balance commerciale, donc d'exporter. Qu'ont fait les Brésiliens ? Ils ont, notamment, augmenté la production de café (culture dont le Brésil est le premier producteur mondial et qui rapporte des devises). Il a donc fallu réduire la production du feijao, le haricot noir, premier plat national. Le résultat, on pouvait s'y attendre, fut une montée en flèche du prix du feijao, donc une accélération des phénomènes d'inflation et de paupérisation.

L'autre solution est évidemment de chercher à réduire les importations. Mais cette réduction s'accompagne d'une récession intérieure et provoque l'augmentation du chômage.

Un enjeu continental

Le succès de Ronald Reagan aux élections américaines du 6 novembre signifie également une victoire du dollar fort. Le taux d'intérêt du remboursement de la dette n'est donc pas près de baisser. Que le billet vert s'effondre, et le résultat en serait immédiatement catastrophique sur l'économie brésilienne, car ses exportations sont payées en dollars. Dans tous les cas de figure, les rapports avec le FMI ne peuvent être que délicats et tendus. Le Brésil est, avec l'Inde, le second marché du tiers monde. Il est situé aux portes d'une Amérique du Nord qui, pour l'heure, retourne à l'opulence. Le Brésil a pris, plus que jamais, la mesure de ses problèmes les plus aigus, de ses difficultés endémiques. De leur solution peut dépendre non seulement l'apaisement intérieur, mais aussi la stabilité d'une bonne partie du continent. Mais que le tourbillon de la misère et de la faim continue à un rythme semblable en 1985, et les conséquences politiques en seront peut-être incalculables.

Claire Briere et Pierre Blanchet

Chili

Les protestas et leurs limites

Plus de onze ans après le putsch qui coûta la vie à Salvador Allende, le 11 septembre 1973, le général Augusto Pinochet tient toujours fermement en mains les destinées du Chili. Un moment vacillant dans les premiers mois de l'année, le chef de l'État chilien a fait preuve d'une habileté certaine pour rétablir une situation ébranlée par la crise économique et le mécontentement populaire.

Sanglante répression

Dix fois en douze mois, l'opposition a organisé des journées de protestation nationale, durement réprimées par la police. Mais, incapables de s'entendre sur une plate-forme commune, incapables de surmonter leurs désaccords et d'imaginer une autre stratégie, les partis politiques se sont épuisés dans ces protestas meurtrières (une centaine de morts au cours de l'année).

Les classes moyennes sont les premières à tiédir. Pendant les manifestations de septembre, les concerts de casseroles sont moins bruyants que d'habitude dans les quartiers chics de la capitale. Fatiguée de la dictature Pinochet, la bourgeoisie n'en hésite pas moins à se lancer dans une aventure dont elle voit mal l'issue. Elle a peur de provoquer l'émergence d'un « nouveau Nicaragua ».

La répression s'abat avec d'autant plus de force sur les quartiers pauvres de Santiago — les poblaciones —, où le Parti communiste est généralement bien implanté. C'est dans la très combative poblacion de la Victoria que le prêtre français André Jarlan trouve la mort au cours de la protesta de septembre, tué à son domicile par une balle tirée de l'extérieur.

Crise économique

La crise qui frappe le Chili joue paradoxalement comme un facteur d'apaisement social au profit du général Pinochet. Plus de 30 % des Chiliens sont sans travail ou engagés dans les programmes d'emploi minimum créés par le gouvernement, à des salaires extrêmement bas (une trentaine de dollars par mois). Ceux qui ont la chance d'avoir un emploi régulier s'y accrochent. En conséquence, les syndicats hésitent à prendre des risques, et l'opposition a, jusqu'à la fin octobre, renoncé à appeler à la grève générale, son arme ultime.