Les Argentins relèguent vite au second plan les progrès issus du rétablissement de l'état de droit et du démantèlement de l'appareil répressif. Les libertés retrouvées, la fin de l'insécurité paraissent aller de soi désormais. On assiste à un véritable printemps culturel, sensible à la télévision, au cinéma, au théâtre surtout. Des questions de société sont posées (divorce, avortement, homosexualité, féminisme), qui suscitent des débats nouveaux, inimaginables il y a peu.

Cela ne fait pas un bilan. D'autant que la hausse des prix s'est accentuée (elle devrait frôler les 1 000 % en 1984 !) ; bien des promesses électorales n'ont pas été tenues et on ne voit toujours pas se dessiner une politique cohérente. Il est vrai que, un peu comme la gauche française en 1981, les radicaux argentins ont fait les frais d'une longue absence des affaires. Le manque de cadres de valeur et d'une administration digne de ce nom rend la tâche encore plus difficile.

Progrès des péronistes

Autre handicap : l'existence, au Sénat (dont les pouvoirs sont plus étendus qu'en France), d'une majorité péroniste, susceptible de bloquer les initiatives gouvernementales. Elle rejette notamment, le 15 mars, le projet de réforme syndicale. Visant à démocratiser le fonctionnement des syndicats, il devait permettre à d'autres courants que le péronisme d'être représentés au sein de la CGT. Dans cette partie serrée, les radicaux n'ont pas mis tous les atouts dans leur jeu : le texte a été rédigé à la hâte et des maladresses du ministre du Travail, Antonio Mucci, ont empêché le débauchage de sénateurs péronistes non liés à la bureaucratie syndicale. L'affaire coûte son portefeuille au ministre. Plus grave : aux yeux d'une partie de l'opinion qui avait voté radical pour s'opposer à la mainmise des péronistes sur la CGT, le président semble avoir renoncé à la réforme.

Tirant les leçons de cet échec, R. Alfonsín cherche un rapprochement avec le principal parti d'opposition. Isabel Perón, venue tout exprès de Madrid, lui renouvelle, le 21 mai, son soutien. Mais l'ancien chef de l'État n'exerce plus qu'une influence réduite sur l'opposition péroniste. La grève générale du 3 septembre, si elle se solde par un demi-échec, montre quelle sera la stratégie de la CGT et des péronistes en 1985 : durcir le ton face au pouvoir pour capitaliser un mécontentement grandissant. Au bord de l'effondrement fin 1983, les héritiers de Juan Perón ont rétabli leurs positions en un an.

Méfiance de l'armée

Qu'en est-il de l'armée, dont les structures et le recrutement devaient être révisés, afin qu'elle puisse se consacrer à sa véritable mission (la défense du territoire), à l'abri du virus politique ? Après avoir mis à la retraite une soixantaine de généraux, le président cherche à persuader les nouveaux cadres du bien-fondé de ses projets. Sans grand succès. La résistance est d'autant plus grande que nombre d'officiers supportent mal les accusations portées contre les forces armées au sujet de la répression.

La presse fait étalage en 1984 de témoignages et aveux concernant la sale guerre intérieure. Remis au chef de l'État le 20 septembre, le rapport de la Commission nationale sur la disparition des personnes (CONADEP), dirigée par l'écrivain Ernesto Sábato, établit, sur la base de témoignages irréfutables, une liste de 1 300 personnes (militaires, policiers, mais aussi quelques civils), directement impliquées dans la répression. Les familles des victimes et les associations de défense des droits de l'homme relancent, à cette occasion, leur campagne pour que toute la lumière soit faite sur ces tragiques événements. Minoritaire mais influent, ce secteur de l'opinion s'indigne aussi de la lenteur de la justice à instruire les procès des chefs des différentes juntes qui se sont succédé au pouvoir de 1976 à 1983, et qui ont été arrêtés pendant le premier semestre 1984.

Soumis à des pressions contradictoires, soucieux de concilier l'éthique et un certain réalisme, le président Alfonsín voudrait s'en tenir à la mise en jugement des plus hauts responsables de la répression, tout en préservant l'institution militaire. Pari difficile, dont 1984 n'a pas prouvé qu'il pouvait être gagné. Plusieurs crises, dont la plus importante, le 10 juillet, aboutit à un remaniement important à la tête de l'armée de terre, illustrent la méfiance croissante des militaires à l'égard du pouvoir.

Inflation galopante

Tenu en échec par les péronistes, hésitant face aux militaires, le gouvernement paraît dépassé par la crise économique. La question de la dette extérieure (44 milliards de dollars) est en fait secondaire. Ni R. Alfonsín, ni le FMI n'ont intérêt à la rupture et, en dépit de certaines déclarations nationalistes, l'accord intervenu en septembre apparaît tout à fait logique. Comme tous les grands débiteurs, l'Argentine se verra offrir des facilités pendant plusieurs années ; comme les autres, elle ne remboursera qu'une partie de sa dette. Elle se résoudra certes à certaines mesures d'assainissement. Revenant sur ses promesses de relance économique, le gouvernement cherche déjà en 1984 à limiter le déficit budgétaire. Conséquences : pas d'investissements publics, paralysie de la construction...