Pour la NASA, la série noire ne s'arrêtera qu'avec la mission de la nouvelle navette Discovery, début septembre. Un sans faute qui permettra de lancer trois satellites et de déployer une voile solaire préfigurant les panneaux des stations habitées de demain. Avec, tout de même, une note cocasse, lorsqu'un morceau de glace indésirable obstruera l'orifice d'évacuation des eaux usées, rendant les toilettes inutilisables. Décidément, 1984 est bien l'année de la banalisation de l'espace. Le point d'orgue sera la superbe mission de Discovery en novembre au cours de laquelle l'équipage de la navette réussit à récupérer les deux satellites perdus au début de l'année, Westar-6 et Palapa-B2, et à les reconduire sur terre. La NASA est aux anges et... les assureurs se frottent les mains ! Le succès de l'opération leur permet en effet de réduire de quelque 50 millions de dollars leurs pertes dans cette affaire qui leur avait coûté 180 millions de dollars.

France : un sans-faute

Pour Ariane, c'est aussi l'année de la consécration. Le 23 mai, le lancement réussi de Spacenet 1, un satellite américain, inaugure la première ligne commerciale de transports spatiaux. Un symbole : c'est une firme 100 % européenne, Arianespace, née de l'association de 36 constructeurs et de 11 banques, qui en a la responsabilité. Le 4 août, Arianespace confirme sa maîtrise en lançant les deux satellites Telecom 1A et ECS 2.

Le 10 novembre, un nouveau tir d'Ariane sera totalement couronné de succès. Pour la sixième fois consécutive, la fusée européenne effectue un parcours sans faute, plaçant en orbite géostationnaire deux satellites de télécommunications, Spacenet 2, analogue à celui lancé en mai, et le satellite européen Marecs B-2, destiné à assurer des liaisons téléphoniques et des transmissions entre les navires en mer et les stations côtières.

Ariane apparaît désormais comme un lanceur non seulement fiable, mais compétitif, parfaitement capable de concurrencer la navette américaine. Ce succès est d'abord dû à un choix technologique judicieux : la fusée européenne a été spécialement conçue pour l'orbite géostationnaire, le créneau le plus juteux du marché de l'espace. C'est, en effet, sur cette orbite, située à environ 36 000 km d'altitude, que se logent tous les satellites de télécommunications et de télédiffusion. La raison en est qu'un satellite géostationnaire tourne au même rythme que la Terre et apparaît donc immobile vu de la surface du globe, ce qui est évidemment un avantage.

Or les fusées américaines ont été conçues il y a une vingtaine d'années, à une époque où l'on n'entrevoyait pas encore les possibilités de l'orbite géostationnaire. Elles n'ont donc pas la même spécialisation qu'Ariane, et, pratiquement, les Américains ne disposent que d'un gros lanceur cher, la fusée Atlas-Centaur, et d'un autre plus compétitif, mais trop petit, la fusée Delta. D'où le choix adopté par la NASA d'utiliser la navette pour le lancement des satellites en orbite géostationnaire. L'ennui, c'est que la navette n'a pas été conçue pour cette tâche. Elle n'assure qu'une petite partie du voyage, après quoi le satellite doit prendre la correspondance, en l'occurrence un remorqueur qui le conduit au terme de son voyage. Ce sont précisément des défaillances de ce remorqueur qui ont causé l'échec de février.

Deuxième atout pour Ariane : une gamme de lanceurs très souple qui permet de moduler les charges utiles en fonction des commandes. Avec son énorme soute, la navette peut facilement emporter trois ou quatre satellites. Ce n'est un avantage que dans la mesure où elle peut partir à pleine charge. Or, plus nombreux sont les satellites d'une même cargaison, plus grands sont les risques de contretemps, surtout si plusieurs clients différents interviennent. En 1983, les Américains n'ont pas hésité à lancer une navette à moitié vide. Ariane, elle, n'a pas une charge fixe : ainsi, la version Ariane 4, qui entrera en service en 1986, pourra, selon qu'on lui adjoindra ou non des fusées d'appoint, emporter de 1,5 à 2,5 t en orbite géostationnaire.

Stations habitées en permanence

Mais l'avenir ne se limite pas au transport des satellites. Le président Reagan l'annonce au début de l'année : les États-Unis construiront une station permanente habitée au cours de la décennie à venir. Formée d'une demi-douzaine de modules cylindriques gros chacun comme une caravane de camping, la station devrait abriter à partir de 1994 un équipage de 6 à 8 personnes, sur une orbite de quelque 400 km d'altitude moyenne. Un équipage international : l'Europe, le Canada et le Japon sont invités à participer à ce programme de 8 milliards de dollars minimum.