La guerre de l'essence agace ses concurrents, au point que certains n'hésitent pas à manifester devant les stations coupables, voire à les attaquer manu militari. Ils saisissent aussi les tribunaux, mais, dans bien des cas, ceux-ci se déclarent incompétents : la réglementation française est en infraction avec le droit communautaire européen, qui interdit les entraves à la concurrence.

Les pouvoirs publics sont embarrassés, tiraillés entre la nécessité de défendre les petits distributeurs et les impératifs de la lutte contre la hausse des prix. De déclarations contradictoires en tergiversations, ils s'orientent, fin 1983, vers une augmentation officielle des rabais autorisés.

Mais Édouard Leclerc n'abandonne pas. En fait, son message est politique : il se bat contre un système économique qu'il juge absurde et il s'adresse directement au consommateur pour prouver qu'on peut réellement baisser les prix. Il annonce son intention de s'attaquer, dès la fin de l'année, à deux autres gammes de produits, jusqu'ici protégés par la réglementation : le tabac et les produits pharmaceutiques courants. La distribution attend avec impatience — ou inquiétude — les résultats de ces prochains affrontements.

Marketing
La publicité comparative

En principe illégale en France, la publicité comparative a tout de même fait son apparition dans les médias. C'est Carrefour qui a donné le ton, en comparant ses prix avec ceux des 150 articles de la concurrence. Certaines organisations de consommateurs ont applaudi à cette offensive : la publicité comparative favoriserait une meilleure information. Aussi, l'Institut national de la consommation (INC) a-t-il proposé un texte autorisant l'utilisation de cette nouvelle forme de publicité. Bien que favorables à ces initiatives, les pouvoirs publics voudraient encadrer cette loi : tous les partenaires savent en effet qu'en valorisant la caractéristique la plus favorable à un produit une entreprise peut pénaliser son concurrent. Dans ce cas la publicité comparative conduirait en fait à une désinformation.

Béatrice d'Erceville

Tourisme

Été Delors, été français

Sous quelle appellation l'exercice touristique 1983 passera-t-il à la postérité : l'année de l'été français ou celle de l'été Delors ? Question de pure forme, car, si l'une des deux expressions présente les choses sous un jour plus aimable à l'égard du ministre des Finances, l'une comme l'autre parlent bien du même phénomène majeur : pour la première fois en dix années de crise, les difficultés économiques auront eu de sérieuses répercussions sur les vacances des Français et sur la marche de l'industrie touristique.

Tout a commencé le 29 mars, lorsque Jacques Delors annonça l'instauration d'un contrôle des changes, qui limitait à 2 000 F par personne et par an le montant des devises autorisé pour se rendre à l'étranger. Même augmentée des 1 000 F tolérés à chaque passage de la frontière, la somme était chiche. Dans l'esprit du ministre, il ne s'agissait pas seulement de réduire une hémorragie de devises fâcheuse pour un franc en mauvaise santé, mais surtout de frapper l'esprit des Français, pour leur rappeler la crise et leur faire « comprendre qu'ils vivaient au-dessus de leurs moyens ». C'est du moins l'explication donnée après coup.

Impact inespéré ! Le carnet de changes fit du jour au lendemain la une des journaux et l'essentiel des conversations ; l'émotion soulevée dépassa largement les milieux professionnels concernés. Ceux-ci purent en tout cas mesurer sans tarder l'efficacité des mesures ministérielles : alors que le bilan des trois premiers mois de l'année avait été généralement très encourageant, notamment dans les stations de sports d'hiver, les agences de voyages et les compagnies aériennes, l'effet Delors renversa d'un coup la tendance. La fameuse résistance du tourisme à la crise, célébrée depuis le premier choc pétrolier, commençait manifestement à craquer. La plupart des agences de voyages, par exemple, se retrouvèrent, malgré des aménagements au contrôle des changes consentis en leur faveur, entre – 10 % et – 30 % en-dessous de leurs ventes de l'année précédente. Pis : le report des vacanciers sur l'Hexagone s'amorçait mal. Non seulement les étrangers paraissaient parfois déconcertés par les mesures Delors, mais les Français eux-mêmes, « interdits de sortie », avaient l'air moins pressés de sacrifier au rite sacré des vacances.