Si cette survie paraît, somme toute, à peu près assurée au niveau des entreprises moyennes, dont beaucoup ont entrepris, ces dernières années, de vigoureux efforts de productivité, elle est encore précaire dans les grands groupes. Et, de ce côté-là, 1984 devrait marquer une nouvelle étape dans le processus de restructuration entrepris à la fin des années 60.

On a vu en 1983 les banques prendre 20 % de Prouvost SA, notre premier groupe lainier, pour déjouer un « coup » de Maurice Bidermann (qui reste propriétaire, mais qui n'est plus P-DG de l'affaire qui porte son nom). On a vu également, au cours de l'été dernier, 30 % du capital de Dollfus-Mieg et Cie (DMC) changer de mains, et le cours en Bourse de cette affaire en redressement, mais toujours très fragile, multiplié par quatre ! La spéculation n'explique pas tout. Là aussi, il y a de la restructuration dans l'air.

L'affaire la plus retentissante, et d'un certain point de vue la plus inexplicable, concerne la Compagnie Boussac-Saint-Frères (CBSF) qui a pris en location-gérance, en 1982, les installations de Boussac-Saint-Frères, mises en faillite sous le règne de leurs précédents actionnaires, les frères Willot. Le P-DG de CBSF, René Mayer, a réussi, en juillet dernier, à négocier un accord aux termes duquel les frères Willot sont réhabilités et lavés de leurs « péchés » en échange de l'essentiel des titres qu'ils détiennent dans les autres sociétés de leur groupe — Christian Dior, Le Bon Marché, Conforama, etc. Mayer y trouve de quoi continuer l'exploitation de l'ensemble et les Willot leur passeport. En attendant, pour établir un concordat avec des créanciers, il faudra passer par le pool bancaire qui détient les actions de CBSF et qui est à couteaux tirés avec le P-DG de l'entreprise. Une affaire qui est loin d'être terminée.

François de Witt

Transports

Plus de voyageurs que de marchandises

Le camion au fossé, le wagon sur la voie de garage et la péniche au fond du canal... Oscillant entre le marasme et la récession, le monde des transports n'aura pas été à la fête en 1983. Le recul général observé l'année précédente n'a été suivi d'aucun redressement, en raison de l'essoufflement de la machine économique française. Et l'ensemble des entreprises du secteur en a subi les pénibles répercussions.

Hémorragie

À la SNCF, on entrevoit dès l'automne une nouvelle baisse du trafic de marchandises de l'ordre de 6 % sur l'ensemble de l'année, en dépit d'une bonne campagne céréalière. De sorte que la Société nationale aura perdu en quatre ans 20 % de son trafic : comme si un wagon sur cinq s'était volatilisé ! À ce niveau de gravité, l'hémorragie menace l'existence même de l'entreprise. Les cheminots font bien valoir — traquant la plus infime lueur d'espoir — que leur part du marché a cessé de se dégrader au cours des deux dernières années, mais ce fait traduit moins la vigueur de leur contre-offensive que la gravité des difficultés rencontrées par la concurrence.

En effet, chez les transporteurs routiers, les deux tiers des entreprises avouent des problèmes de trésorerie, provoqués par la chute du niveau de l'activité (de 2,7 % pour les six premiers mois de 1983) et aggravés par l'accroissement des charges résultant des nouvelles réglementations sociales. Celles-ci auront, par exemple, provoqué une perte de productivité du personnel roulant de 10 % en un an. Ainsi laminés entre la régression de leur marché et l'imposition de coûts supplémentaires, les routiers enragent, en outre, de voir les pouvoirs publics réserver au rail « leur compréhension et leur appui financier ».

Quant au transport par voie d'eau, son incessant déclin a pris des allures tragiques : la baisse d'activité s'y est brusquement accélérée pour atteindre le rythme effarant de – 2,5 % à – 3 % par mois.

Les voyageurs se sont heureusement comportés mieux que les marchandises, car la plupart des trafics de personnes restent en augmentation, à l'exception des transports routiers, dont le recul atteint 2 à 3 %. La RATP (métro, RER et autobus confondus) se trouve sur une pente de + 3 %, tandis que la SNCF se maintient sur la sienne, à + 2 %. Croissance également pour Air Inter, de l'ordre de 8 %, alors qu'Air France et UTA voient leurs trafics fluctuer autour d'un niveau moyen stationnaire depuis la fin 1981.

Triomphe du TGV

En fait, la seule vraie pierre blanche à signaler dans ce morne décor de 1983, c'est un... ballast de chemin de fer : celui de la nouvelle voie Paris-Lyon, en service de bout en bout depuis la fin de septembre, et que les TGV parcourent désormais en deux heures, à 270 kilomètres/heure. Le succès dépasse toutes les prévisions, sur les plans technique, commercial ou économique. 15 millions de voyageurs ont emprunté les rames orange en deux années d'exploitation. Ce qui représente, en 1983, près de 25 000 usagers par jour, un tiers de ceux-ci étant constitué de nouveaux voyageurs, venus de l'avion (25 %), de la voiture (25 %)... et de nulle part (50 %). Rude coup, en tout cas, pour Air Inter, à qui le TGV a pris 345 000 passagers en 1982, et qui craignait d'en perdre deux fois plus après l'ouverture intégrale de la ligne nouvelle. L'automne voit la compagnie aérienne lancer une contre-offensive commerciale en faveur de la région Rhône-Alpes, tandis qu'Air France et Swissair s'allient pour défendre leurs vols sur Genève.