Sa nomination lui aura au moins permis d'exercer ses talents. Fin politique, ferme sur les grands principes, orateur brillant, il charme les foules. Sans doute un peu trop au goût de certains. Cette popularité lui porte souvent ombrage. Michel Rocard semble avoir compris la leçon. Finies les déclarations susceptibles de froisser l'orgueil de ses amis politiques. Finie la concurrence avouée avec le courant mitterrandiste. Même s'il n'en pense pas moins, il observe à la lettre la discipline gouvernementale. Si les rocardiens convaincus piaffent un peu trop fort, il se charge lui-même de calmer leurs ardeurs : on ne peut être plus royaliste que le roi. Est-ce à dire que l'étoile filante du parti socialiste suivra désormais la même trajectoire sans dévier d'un pouce ? Prendre un tel pari serait hasardeux. Michel Rocard n'a rien de ces fidèles lieutenants capables de garder sous le manteau leurs désaveux et leurs désaccords. Alors, au moindre faux pas, le ministre de l'Agriculture risque une fois de plus d'être écarté des arcanes du vrai pouvoir. Ombre ou lumière. À lui de décider. Tout en s'appuyant sur un atout dont rêvent les hommes politiques de la majorité : enfant terrible ou pas, Michel Rocard arrive en tête de tous les sondages de popularité.

Dominique Mariette

Un parcours sans faute

Le ministre, devant le millier de congressistes, subit en quelque sorte son examen de passage. Avec brio. Son discours est adroit. Sans s'engager formellement, il fait quelques ouvertures au syndicalisme. Affirmant que l'agriculture française est « condamnée à l'expansion », il se déclare résolu à aborder avec fermeté les négociations qui vont s'ouvrir à Luxembourg quelques jours plus tard pour fixer les prix agricoles de l'Europe des Dix. Et il cherche à apaiser les craintes qui subsistent quant au rôle qui sera assigné aux offices par produits, en déclarant qu'ils doivent « aider les organisations professionnelles à s'organiser et non pas se substituer à elles ». Michel Rocard est écouté avec attention dans un climat serein qui tranche avec celui — houleux — qui régnait un an plus tôt lorsque Édith Cresson avait, elle aussi, subi l'épreuve du congrès de la FNSEA.

Et s'ouvrent, le 18 avril, les négociations européennes sur les prix de campagne, le démantèlement des montants compensatoires et l'institution des seuils de production. Il faut un mois, cette fois, pour aboutir. Ce n'est, en effet, que le 17 mai que les prix agricoles sont fixés à Bruxelles. En moyenne, la majoration des prix agricoles communs est de 4,2 %. Mais, pour la France, elle est de 9,4 % si l'on tient compte de la hausse de 2,8 % déjà décidée au mois d'octobre précédent grâce à une dévaluation du franc vert, cette unité monétaire mythique qui sert à traduire en monnaie nationale les prix agricoles communs exprimés en écus (unités de compte européennes). Une nouvelle dévaluation de ce franc vert autorisée en même temps que sont arrêtés les prix communs permet aux agriculteurs français d'obtenir une augmentation somme toute acceptable, compte tenu du taux de l'inflation.

Conjugué avec une réévaluation du mark allemand et du florin néerlandais, cet ajustement du franc vert, dont la valeur reste encore cependant supérieure à celle du franc commercial, entraîne une révision des montants compensatoires qui diminuent. Mais ils ne disparaissent pas.

La question des revenus

Le marathon des prix achevé, d'autres problèmes viennent au devant de la scène. Ils sont évoqués, dès les premiers jours de juin, tant aux deux journées de réflexion organisées par le Centre national des jeunes agriculteurs à Royan qu'à la session tenue par l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture. Deux manifestations où Michel Rocard prend la parole. Il est, bien sûr, question de l'avenir de l'Europe agricole, car la Commission européenne, à Bruxelles, travaille à un projet de réforme de la politique agricole commune. Il est, aussi, question de l'évolution des revenus des exploitants. L'année 1983 ne s'annonce pas, en effet, aussi brillante que la précédente, où les revenus agricoles ont augmenté de 9,1 % en valeur réelle, selon les calculs de la très officielle commission des comptes de l'agriculture de la nation, rendus publics le 4 mai.