Ainsi, le pouvoir d'achat des salaires nets des ménages, encore positif de 0,1 % en 1982, devrait avoir baissé selon les experts du bureau d'informations et de précisions économiques (BIPE) de 1,4 % en 1983 et chuterait d'autant en 1984, correspondant à une diminution nette du revenu disponible des ménages de 0,8 % en 1983, malgré une progression encore soutenue (+ 3,2 %) des prestations sociales au profit des plus défavorisés. Ces variations montrent que l'essentiel de l'effort a été supporté par les classes moyennes et supérieures à haut pouvoir d'achat et pour partie encore par les entreprises, compte tenu des effets de report des dispositions antérieures en matière de prestations sociales et d'avantages sociaux. Elles témoignent de la volonté de justice sociale affichée par les pouvoirs publics dans la répartition des efforts.

Cette orientation, liée à l'augmentation du prix des matières premières importées en raison notamment de la hausse persistante du dollar, devait ralentir les effets des mesures d'austérité dans deux domaines : la consommation et les prix.

Une consommation encore soutenue

La prévision de croissance de la consommation de 0,2 % faite au printemps par le BIPE sera sûrement dépassée, en dépit du recul très net marqué au deuxième semestre. La politique redistributive a pour effet de maintenir à un haut niveau la consommation de base des plus défavorisés, tandis que les classes les plus aisées de la population ont tendance à ne modifier que lentement leur mode de vie, prélevant, dans un premier temps, sur leur épargne. À l'automne, les prévisions officieuses tablaient sur un taux d'épargne inférieur à 14,5 %, au lieu des 14,6 estimés en mars. Encore ce phénomène est-il masqué par le déplacement des flux d'épargne du logement à l'épargne financière, observé depuis 1980. Cette dernière, qui représentait 5,9 % du revenu brut disponible en 1982, contre 3,8 % en 1980, devrait toutefois marquer une pause cette année, compte tenu des prélèvements fiscaux et sociaux. Son niveau explique pour partie les émissions records effectuées sur le marché financier, notamment sous forme d'emprunts obligataires.

Conséquence de cette double évolution : la demande liée à l'investissement baisse plus vite que celle liée à la consommation. Encore en hausse sensible au premier trimestre, l'investissement a reculé de 5,8 % au deuxième trimestre, alors que la consommation se redressait de – 0,4 à + 0,2 %. Au total, on estime que les investissements en volume (formation brute de capital fixe) devraient diminuer de l'ordre de 4 % en 1983 contre 1,3 % en 1982. Le secteur du logement marquerait pour sa part une chute proche de 7 %. En revanche, le gouvernement devrait bénéficier d'un soutien inattendu : le redressement du commerce extérieur. La reprise économique américaine, à laquelle aucun expert ne croyait au début de l'année, et sur laquelle on s'interroge encore, s'est révélée plus forte que prévue, et ses effets sont apparus d'autant plus rapides au niveau international que les entreprises françaises, confrontées à un marché intérieur déprimé et retrouvant une certaine compétitivité après trois dévaluations, ont mis les bouchées doubles hors des frontières.

Reste que l'effet récessif de la demande intérieure s'est accéléré à la fin de l'année 1983, introduisant un simple décalage de calendrier sur l'activité économique dont le recul serait inférieur au taux de moins 0,8 %, initialement affiché pour 1983, et supérieur à celui de moins 0,3 % prévu pour 1984, si aucune modification n'intervient dans la régulation de la politique conjoncturelle, ce qui n'est pas certain. À la fin de septembre, le patronat considérait que la production pourrait baisser de 2 à 3 % dans l'équipement, la mécanique, le textile, la construction électrique, la transformation des métaux et de 8 à 10 % dans le logement, chiffres probablement un peu excessifs.

La baisse de l'activité s'accompagne naturellement d'une accélération des faillites (près de 10 400 au premier semestre) et surtout de dépôts de bilan. Mais, compte tenu des mesures conservatoires prises par les pouvoirs publics et des multiples dispositions arrêtées en matière d'emplois (plan jeunes, chômage longue durée notamment), le niveau du chômage aura pu être maintenu légèrement au-dessus de 2 millions jusqu'à l'automne ; ce qui, en soit, constitue une véritable prouesse. Mais la progression paraît inévitable, comme elle l'a été dans les autres pays qui ont procédé à l'assainissement de leurs structures économiques : États-Unis, Grande-Bretagne notamment. Avec toutefois le correctif que constitue le volontarisme du gouvernement français de rétablir les grands équilibres par une politique aux antipodes du monétarisme pratiqué par la Grande-Bretagne de Mme Thatcher, et qui s'explique par la volonté de lutter sur le front du chômage en même temps que sur celui de la hausse des prix.