L'opposition intérieure et la contestation qui se développent à partir du second trimestre, notamment au sein du Front de salut national regroupant Walid Joumblatt, Rachid Karamé et Soleiman Frangié, et qui, si elles ne vont jamais jusqu'à remettre en cause la légitimité du président de la République, critiquent avec virulence le pouvoir tel que celui-ci et son gouvernement l'exercent contrastent avec le soutien quasi-unanime qui avait accompagné l'initiative la plus délicate de l'exécutif depuis le début du sexennat de Gemayel : la signature d'un accord libano-israélo-américain prévoyant le retrait des troupes étrangères et mettant fin à l'état de belligérance entre Jérusalem et Beyrouth.

L'accord israélo-libanais

Conclu le 17 mai, cet accord était l'aboutissement de quatre mois de difficiles négociations entre les délégations des deux pays et d'une intense activité diplomatique de Washington qui en fut, par son volontarisme, le principal artisan. Le gouvernement libanais, à l'unanimité de ses membres (musulmans pour moitié) et le Parlement à l'unanimité des députés présents (80 sur un total de 91) devaient approuver un texte ambigu, laissant planer beaucoup d'incertitudes, élaboré au prix de nombreuses concessions libanaises et comportant un risque — limité il est vrai par des concertations préalables avec les capitales du Proche-Orient — d'isolement au sein du monde arabe. Sur le fond, députés ministres et dirigeants politiques qui appuient l'État dans son initiative sont conscients que cet accord, s'il ne constitue pas tout à fait un marché de dupes est en porte-à-faux avec la réalité, et au premier chef avec la réalité du refus syrien qui frappe de nullité toute velléité de retrait israélien. Reste qu'il a été l'occasion d'une manifestation d'unité nationale et la preuve que la majorité de l'islam sunnite et chiite affirmait sa volonté d'indépendance à l'égard de Damas.

De la capitale syrienne tombe aussitôt une pluie d'invectives contre le Liban et son président, tandis que les bombardements à partir des positions syriennes de la montagne continuent à frapper Beyrouth après avoir ponctué les dernières phases de la négociation de l'accord. De son côté, dès le lendemain de la signature, Jérusalem annonce par la voix de son ministre de la Défense, Moshe Arens, sa ferme intention de redéployer son armée au sud du fleuve Awali, laissant entendre, malgré les précautions oratoires du ministre, que le Chouf sera alors à qui saura le prendre. Le retrait israélien, que Libanais et Américains réussiront à retarder à trois reprises, signifiait, dans un contexte politique où Walid Joumblatt et ses partisans refusaient l'entrée de l'armée et posaient à un accord politique des conditions jugées inacceptables par Amine Gemayel, un face-à-face décisif entre miliciens des forces libanaises et miliciens druzes, maintenant que les Israéliens ne seraient plus là pour en moduler à leur gré les affrontements et les trêves. Le refus, d'ailleurs compréhensible, de la part des Druzes d'accepter la présence de miliciens chrétiens arrivés dans la région dans les fourgons de l'armée israélienne en 1982 est aussi radical que le refus de céder du terrain de la part des forces libanaises.

Le Chouf s'embrase dès le retrait des premières unités israéliennes au soir du 3 septembre. Entre les Druzes auxquels les Syriens fournissent un important appui logistique et les forces chrétiennes, les combats sont impitoyables et la liste des massacres perpétrés par chacun des deux bords s'allonge interminablement. Les Israéliens se contentent, pour leur part, d'indiquer par quelques déclarations, l'envoi de patrouilles et des survols, la limite à ne pas franchir, confortant ainsi la thèse d'une collusion tacite entre les deux puissances occupantes pour un partage du Liban. Les multiples formules de compromis élaborées par des médiateurs, notamment arabes, se heurtent aux exigences incompatibles de Walid Joumblatt et du chef de l'État. Ce dernier, malgré l'appui déterminé des États-Unis et le ton dissuasif adopté par Washington envers la Syrie, se trouve dans une situation délicate. Les accords souscrits le 4 novembre à Genève par le président et divers ténors de l'opposition, sous le haut patronage syro-américain, ne permettent pas de résorber les tensions.

Le Sud occupé par Israël

Pendant ce temps, la dégradation de la situation dans le reste du pays, notamment à Baalbeck et à Tripoli, n'a pas connu de véritable amélioration. Aidés par le colonel dissident Saad Haddad, dont ils ont affermi l'autorité, les Israéliens s'installent derrière leur nouvelle ligne de défense qui couvre environ 50 km, du nord de Saïda jusqu'aux contreforts du Chouf. Ils ont construit 40 km de routes et assuré la réfection de 50 km de routes anciennes pour garantir leurs positions militaires. En deçà, le Sud-Liban, que les correspondants de la presse anglo-saxonne ont déjà baptisé « Northbank », vit à l'heure de Tsahal qui tente d'y rééditer l'expérience des « ligues de village » tentée en Cisjordanie pour court-circuiter les maires élus. Au large de Beyrouth croisent de nombreux bâtiments, le porte-avions français Foch et le cuirassé US New Jersey notamment : ils permettent les ripostes de la France et des États-Unis à la mort de leurs hommes engagés dans la Force multinationale : 239 Américains et 58 Français, tués le 23 octobre dans des attentats exécutés par des kamikazes pro-iraniens, et qui suscitent le lendemain une brève visite du président Mitterrand.