L'islam institutionnel — celui de la Conférence des États islamiques, dont le secrétaire général est le Tunisien Habib Chatty, celui des banques islamiques de développement, celui des tentatives vaines de médiation dans la guerre du Golfe — apparaît désormais bien désarmé face à l'atomisation et à l'activisme irrationnel des groupes et communautés qui conduisent le Proche-Orient, cœur du monde musulman, dans la situation d'impuissance et de régression la plus grave qu'il ait jamais connue depuis les années vingt. La voie est dégagée pour le diktat ou l'affrontement des grandes puissances, mais aussi pour les sursauts désespérés du terrorisme.

Afrique
L'expansion de l'islam

Les États d'Afrique sud-saharienne connaissent une très forte poussée islamique. Même pour les régimes qui ont été le plus tentés de se rapprocher du bloc de l'Est, il n'est plus possible de tenir un discours à tonalité antireligieuse. Des pays comme la Guinée de Sékou Touré, le Mali de Moussa Traoré ou le Niger de Seyni Kountché ont dû changer leur fusil d'épaule et faire une place de plus en plus grande aux ambitions des musulmans. Les communautés islamiques d'Afrique noire n'ont cependant pas éprouvé, jusqu'à présent, la tentation de se laisser récupérer par les pouvoirs en place. Les confréries maraboutiques, toutes-puissantes au Sénégal et dont l'influence déborde de plus en plus profondément dans tous les pays limitrophes, et les populations se réclamant de la religion du Prophète, préfèrent à des structures politiques et fonctionnelles des positions symboliques et marginales. La résistance passive aux institutions laïques reste leur arme favorite. Leur dynamisme économique représente leur unique et permanente offensive. Les musulmans s'organisent en contre-pouvoirs discrets, mais dont la puissance financière est devenue rapidement un des éléments prépondérants des économies nationales. Ils ont établi dans plusieurs États du Sahel des monopoles de fait, qui contrôlent, par exemple, les cultures arachidiennes ou les transports en commun. Ils ont mis en place des réseaux parallèles de distribution. Les denrées et les produits manufacturés qu'ils transportent dans leurs camions ou dans les malles arrière de véhicules fatigués représentent l'essentiel des échanges commerciaux entre beaucoup d'États de l'Afrique noire.

Les thèses se réclamant de l'africanisme et de la négritude — chers à Léopold Senghor — ne sont que des schémas intellectuels, qui n'ont pratiquement pas d'écho dans les masses. La présence, à la tête de plusieurs États africains, de leaders chrétiens — L. S. Senghor au Sénégal naguère, J. Nyerere en Tanzanie... — ne gêne pas la croissance musulmane. Pendant le règne du président Senghor, la puissance des marabouts sénégalais s'est considérablement accrue. Si, en Haute-Volta, Thomas Sankara a pu à nouveau s'imposer, malgré l'opposition du gouvernement français, c'est en partie parce qu'il peut compter sur l'appui des musulmans voltaïques et sur des sympathies fidèles à Tripoli et dans certains pays arabes.

Prosélytisme. Au Cameroun, Paul Biya, malgré la crise qui l'oppose à son prédécesseur El-Hadj Ahmadou Ahidjo, semble capable d'éviter la rupture de l'équilibre entre le Nord musulman et le Sud animiste et chrétien. Les dernières élections présidentielles au Nigeria confirment que la prépondérance musulmane saura se garder de tout excès qui pourrait à nouveau déstabiliser le plus puissant État de l'Afrique noire. Au Togo, plus récemment au Bénin, les minorités islamiques ont vu leurs existences officiellement confirmées par les présidents de ces deux États.

La Côte-d'Ivoire, comme le Ghana, ne s'islamise que lentement, et seulement à la faveur de l'immigration. Cependant, la récession qui touche Abidjan et le profond marasme dans lequel s'enlise Accra sont des climats favorables à l'extension économique des réseaux musulmans et à leur prosélytisme. Au Zaïre, des commerçants ouolofs, sarakolés, dioulas contrôlent les exportations non officielles de métaux rares et de pierres précieuses. Il y a dans l'entourage immédiat du président Mobutu des conseillers musulmans et également quelques marabouts très influents. On peut observer aussi une présence islamique efficace dans les anciennes possessions portugaises ; l'activité de nombreux missionnaires catholiques n'a jamais pu contrecarrer cette influence. En Afrique de l'Est et des Grands Lacs, ni le souvenir de trafiquants d'esclaves, tel Tippo Tip, ni les récentes exactions d'Idi Amin Dada en Ouganda ne portent préjudice à l'essor de l'islam ; dans ce dernier pays, le poids des marabouts de Bunyoro est presque aussi important que celui des marabouts du Sénégal.