Ce conservatisme ne facilite évidemment pas la création artistique, malgré les efforts de mécènes éclairés comme le prince Karim Agha Khan, chef spirituel des ismaéliens, qui décerne à Istanbul, le 3 septembre, ses prix triennaux d'architecture, récompensant des réalisations exemplaires d'architectes et d'artisans du monde musulman et notamment les efforts entrepris pour restaurer le patrimoine islamique de Damas, Tunis et Le Caire.

De l'Atlantique à la mer de Chine, le mouvement islamique apparaît en 1983 comme un ferment porteur des colères, des révoltes et des espoirs de secteurs populaires plus ou moins larges. Même là où l'islam n'est qu'une minorité, comme en Yougoslavie : la condamnation à Sarajevo, le 20 août, d'un groupe d'intellectuels de Bosnie-Herzégovine — province qui compte 40 % des musulmans — attire l'attention sur la Déclaration islamique d'Alia Izetbegovi, qui prévoit d'établir un pouvoir islamique.

Activisme

Un peu partout, la répression et les procès mettent au jour l'activité de nombreux groupes religieux, notamment au Maghreb, mais aussi en Asie. En Algérie, les militants islamiques sont pourchassés après la découverte d'un « complot » en janvier et l'on essaie d'établir un lien avec l'ancien président Ben Bella, éloigné de France au même moment, pendant que se poursuit l'interminable débat sur le futur Code de la famille. À Tunis, après le procès des dirigeants du Mouvement et la tendance islamique, en juillet, un autre procès se déroule en août devant le tribunal militaire. Y comparaissent, 19 militaires et 11 civils du Parti de la libération islamique, dirigé par Mohamed Jerbi. Fondé en 1952 en Jordanie par le Cheikh Takieddine Nabhani, ce parti a des branches en Égypte et en Libye notamment. Cette affaire révèle l'étendue de l'activisme religieux au sein de l'armée.

En Égypte aussi, arrestations et procès se succèdent et il semble bien que, là comme ailleurs, les forces armées ne soient pas à l'abri des mouvements intégristes. En Indonésie enfin, un jeune chef musulman de 32 ans, Imran Bin Muhammed Zein, qui avait fondé un groupe d'environ 300 militants, Jemaa Imran est condamné à mort et pendu au mois d'avril. Ainsi, la forme militante la plus radicale de l'islam se heurte-t-elle partout aux autorités gouvernementales.

Mais quelle est l'influence exacte des courants intégristes dans les milieux populaires ? Un certain nombre d'enquêtes parues dans la presse internationale l'indiquent en expansion. Cela paraît clairement chez les Palestiniens d'Israël et des territoires occupés, surtout après l'attentat commis par des fanatiques israéliens contre le Collège islamique d'Hébron, qui fait deux morts le 26 juillet. De nombreux témoignages en font état en Malaisie, au Bangladesh, au Pakistan où sunnites et chiites s'affrontent en de sanglants incidents à Karachi, voire parmi les minorités chiites d'Afghanistan. Partout se manifeste le retour en force des solidarités communautaires et confessionnelles. L'interminable guerre — civile et internationale — qui détruit progressivement le Liban voit se renforcer sans cesse le particularisme druze dans la montagne du Chouf et l'autorité des religieux chiites dans les villages du Sud-Liban occupés par l'armée israélienne.

Atomisation

Dans la guerre du Golfe, l'une des plus meurtrières de ce siècle, qui met aux prises les régimes iraqien et iranien, le président iraqien Saddam Hussein essaie de se gagner le loyalisme de ses concitoyens chiites en visitant solennellement les lieux saints de Kerbala, tout en liquidant la grande famille religieuse de Najaf, celle de l'ayatollah Mohamad Baqer Hakim. C'est la réaction à la politique de Khomeiny, qui tente d'utiliser la solidarité chiite pour déstabiliser définitivement son adversaire de Bagdad. L'idée qu'un certain nombre de puissances régionales ou extérieures favorisent la résurgence des mouvements confessionnels et communautaires pour balkaniser davantage le Proche-Orient apparaît, à la lumière des différents conflits, de plus en plus crédible. Cette politique connaît en tout cas un début de réalisation au Liban.