Michel Evdokimov

Israélites

Le malaise

Les synagogues et autres centres communautaires juifs sont tous gardés par des policiers ou des CRS armés, mais le sang n'a pas coulé. Pendant les fêtes d'automne en particulier, ces dernières années avaient été marquées, en France ou en Europe, par des attentats meurtriers ; aucun incident grave n'a eu lieu cette fois. Tout au plus doit-on signaler une manifestation marquant une certaine hostilité envers Israël, devant la synagogue de Vitry en banlieue parisienne, pendant les célébrations de Roch Hachana, le nouvel an juif.

Aucun responsable communautaire n'aura le courage de demander que cesse une protection si visible qu'elle en devient discriminatoire, tant que les auteurs des attentats de ces dernières années n'auront pas été arrêtés ; et, encore, faudra-t-il être sûr que les groupes dont ils sont membres ne projettent pas de nouveaux meurtres.

Mémoire

Une année après la tuerie de la rue des Rosiers aussi bien le président de la République que le Premier ministre se recueillent sur les lieux de l'attentat. Commémoration aussi d'événements plus anciens mais toujours présents à une mémoire encore exacerbée, comme le quarantième anniversaire de l'insurrection du ghetto de Varsovie. Elle donne lieu à un important rassemblement de la collectivité juive de Paris, rue des Hospitalières-Saint-Gervais, d'où fut déporté un groupe d'enfants juifs. Le cortège continue jusqu'au Mémorial du martyr juif inconnu, où sont prononcées les allocutions.

Elles soulignent toutes que la relation du passé à l'actualité implique naturellement la solidarité la plus étroite avec l'État d'Israël, qui s'identifie tout entier avec la figure de ces combattants. La fidélité à leur mémoire ne peut mieux se traduire que par la condamnation du projet de conférence sur la Palestine appelée par l'ONU, qui aurait dû avoir lieu à Paris au cours de l'été.

La communauté juive de France, persuadée que cette conférence sert uniquement les ambitions des Arabes et des Palestiniens les plus extrémistes, se mobilise. Elle exerce une influence suffisante sur le gouvernement pour que celui-ci exige de ses interlocuteurs arabes que la conférence se tienne ailleurs que sur le sol français. Elle se déroulera finalement à Genève au début du mois de septembre et passera à peu près inaperçue.

La lutte des Juifs en France contre la tenue de la conférence sur la Palestine met en lumière le rôle efficace du nouveau président du CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France), Théo Klein, qui succède à Alain de Rothchild, décédé en octobre 1982. Avocat, Théo Klein jouit de la double nationalité française et israélienne. Pour la première fois, l'élection du représentant politique des Juifs de France a lieu au cours d'une assemblée générale votant selon des principes démocratiques. L'élection du nouveau président constitue une certaine forme d'opposition aux conclaves qui avaient pris l'habitude de décider au nom de la communauté tout entière.

Inquiétudes

1983 reste bien une année de répit. La tension créée pendant les élections municipales par l'exploitation des thèmes racistes ne vise pas les Juifs, encore que l'arrestation, peu de jours avant le scrutin, de truands à Marseille, à proximité de la grande synagogue, fasse penser d'abord à un projet d'attentat contre le haut lieu symbolique du rassemblement de l'importante communauté juive. Mais, au-delà de la rumeur, nombre de juifs gardent comme un arrière-goût d'amertume devant l'organisation de campagnes racistes qui paraît si facile, en France. L'élection municipale, à Dreux, après l'annulation des premiers résultats, confirme cette impression. Quelles que soient leurs opinions politiques, les Juifs se sentent généralement solidaires des déclarations prononcées avant les élections par Simone Veil, qui ne veut admettre, au-delà de l'enjeu politique, une quelconque alliance avec l'extrême droite.

Dans le climat de morosité qui s'empare de la France en crise, les Juifs ne sont pas absents. Réputés avoir voté nombreux en faveur de la gauche en 1981, pour sanctionner la politique hostile à Israël de l'ancienne majorité, ils se retrouvent, l'oubli aidant, déterminés par la conjoncture intérieure plutôt que par les orientations de la politique française au Proche-Orient. Depuis l'opération Paix en Galilée, en 1982, le Quai d'Orsay répugne à mettre en application les différents projets de coopération accrue avec Israël aussi longtemps que ce dernier n'aura pas évacué le Liban. Les réserves des Français à l'égard du traité libano-israélien, une attitude trop conciliante envers l'OLP, considérée par Paris comme un recours indispensable pour une solution du problème palestinien, ne flattent pas les Juifs de France encore sous le coup des campagnes diffamatoires lancées à l'encontre d'Israël lors de son offensive au Liban. Quelles que soient les opinions qu'ils peuvent avoir, par ailleurs, sur le bien-fondé de cette guerre ou même de son processus.