Le chinois, massivement parlé, et le japonais sont très peu connus sous nos latitudes. Épouse d'un grand littérateur chinois, Yang Jiang dénonce les vicissitudes de la révolution culturelle dans Six récits de l'école des cadres (C. Bourgois). À une échelle autre, le Japonais Yukio Mishima continue de nous fasciner avec La mort en été (Gallimard) et une pièce de théâtre, Le palais des fêtes (Gallimard), tandis que les éditions Balland obtiennent un immense succès avec les romans grand public de E. Yoshikawa, La pierre et le sabre, La parfaite lumière.

Alors que l'espagnol et le portugais sont les langues de la fabuleuse littérature d'Amérique du Sud, qu'en est-il dans les nations d'origine ? Si l'Espagne nous parle peu (G. Cambaro, Dieu ne nous veut pas contents, Gallimard ; R. J. Sender, Le regard immobile, Denoël), on peut à bon droit parler d'un réveil du Portugal : Le cul de Judas d'A. L. Antunes (A. M. Métaillé) a déjà été traduit en plusieurs langues et Eça de Queiroz est un écrivain important dont l'Âge d'homme fait découvrir les Contes et nouvelles.

Que penser de ce paradoxe linguistique ? Albin Michel reprend en traduction du yiddish des Contes de Ch. Aleichem, alors que les romanciers israéliens écrivent en hébreu ; A. B. Yehoshua, Un divorce tardif (Calmann-Lévy) ; A. Oz Mon vélo et autres aventures (Stock) ; le célèbre D. Shahar, L'agent de sa majesté (Gallimard).

D'ordinaire actives, les traductions nordiques et Scandinaves ont été peu nombreuses en 1983 et l'on ne signalera qu'un très beau livre du romancier suédois L. Gustafsson, jusqu'ici absent de l'édition française : La mort d'un apiculteur (Les Presses de la Renaissance) et, du classique Auguste Strindberg, le Petit catéchisme à l'usage de la classe inférieure (Actes Sud). Le théâtre complet de Strindberg est en cours de publication à l'Arche.

On se souvient de ces images d'actualité : un sous-marin soviétique jouant à cache-cache avec les autorités dans les eaux territoriales suédoises. Aussi bien, si nous sommes obsédés par les évocations de l'armada nucléaire et par l'analyse du totalitarisme, jugerons-nous symbolique d'achever ce panorama par le rappel de deux grands romans de politique-fiction à l'échelon de la planète : La grâce de Dieu, de l'Américain B. Malamud (Flammarion), et L'île de Crimée, du dissident soviétique V. Axionov (Gallimard). La vigilance est présente chez les écrivains étrangers. Comme la confirmation et le signe d'un talent aussi multiple que partagé et dont 1983 fut le témoin privilégié. Juste à la veille de 1984 : l'année terrible selon George Orwell.

Claude Glayman

Idées

Les intellectuels interpellés

« Que signifie échanger des idées ? » À cette question qui, en 1983, au baccalauréat, était l'un des sujets proposés dans l'académie de Bordeaux, les candidats auraient pu répondre en se référant notamment au livre de Theodore Zeldin, Les Français (Fayard). Nous observant avec une bienveillante ironie, l'historien britannique a pu écrire : « Les chefs de l'intelligentsia française jouent un rôle qui, en Angleterre, incombe à l'Église anglicane et à l'opposition officielle de Sa Majesté. Ils expliquent les maux de la société et s'indignent qu'on ne suive pas mieux leurs conseils. Leurs plaintes font partie du système ; on les respecte. » Façon plaisante de rappeler les conditions dans lesquelles se déroule dans l'Hexagone une bonne part des discussions et polémiques. Quant à savoir si ces joutes dont nous sommes friands relèvent du véritable échange d'idées ou du trafic d'influences, on se gardera de trancher. Un point reste néanmoins certain, que Theodore Zeldin considère comme une particularité bien spécifique : la France intellectuelle adore débattre, fût-ce pour affirmer qu'il n'y a pas lieu de perdre son temps à... débattre. 1983 aura été exemplaire à cet égard.

Le silence des Intellectuels

En effet, on a constaté à plusieurs reprises une sorte de réserve embarrassée chez nombre d'écrivains, philosophes, historiens ou sociologues coïncidant de façon paradoxale avec l'arrivée au pouvoir des socialistes. C'est précisément sur ce thème qu'est intervenu au cours de l'été le porte-parole du gouvernement, Max Gallo, relayé par le journal le Monde avec une enquête de Philippe Boggio sur le silence des intellectuels de gauche et leur peu d'empressement à s'engager dans l'expérience politique en cours. « Où sont nos Gide et nos Malraux ? » s'est écrié Max Gallo après en avoir appelé à une prise en compte de la modernité et noté ici ou là quelques signes de régression inquiétants d'après lui, par exemple dans l'historiographie de la Révolution française la réhabilitation d'Augustin Cochin. Philippe Boggio, pour sa part, tout en soulignant que la figure du maître à penser s'est estompée depuis la mort de Sartre, a montré que l'une des principales pierres d'achoppement réside dans la question du communisme, la majorité des intellectuels voulant se laver de la séduction totalitaire au point d'abandonner toute référence au marxisme. Les ingrédients d'une belle discussion à la française étaient réunis et, comme le remarquera avec son humour piquant Angelo Rinaldi : « Sans vaine modestie, des personnes qui se croyaient visées dès lors qu'il était question d'intelligence se sont expliquées sur leur attitude de repli. »