Les éditions de la Différence publient des inédits d'Henry James, Retour à Florence, et son ultime fiction, Fontaine sacrée. William Faulkner est célébré par un numéro de la revue L'Arc et par deux ouvrages universitaires. Norman Mailer offre un choix de pages d'Henry Miller (Buchet-Chastel). Laffont réédite le théâtre de Tennessee Williams disparu en 1983. Jean-Claude Lattes redonne sa chance à S. Anderson (Pauvre Blanc). Prix Nobel, Isaac B. Singer poursuit son autobiographie (Perdu en Amérique, Stock). Appartenant à une autre génération, Philip Roth remet en scène, comme il en a l'habitude, l'écrivain et sa famille dans Zuckerman délivré (Gallimard). Quant aux plus jeunes, ils se révèlent peu nombreux à être traduits : J. Hawkes, Virginie et ses deux vies (Belfond) ; J. Charyn, Darling Bill (Seuil) ; l'étonnant R. Brautigan se multiplie chez C. Bourgois (et il faut en particulier lire le génial La vengeance de la pelouse) ; Mazarine nous fait découvrir l'esthétique de E. White, Nocturnes pour le roi de Naples.

Où classer l'irremplaçable V. Nabokov, dont Fayard publie des cours d'université pleins d'intérêt dans Littérature 1 et Julliard une série de nouvelles écrites dans plusieurs langues, Mademoiselle O ? Où classer également l'un des livres les plus singuliers de l'année, Sarnia, de G. B. Edwards, qui vécut, sans pratiquement la quitter, dans l'île de Guernesey (M. Nadeau-Papyrus). Toutes proportions gardées, les jeunes romanciers occupent plus de place en RFA ou en Autriche, dans les traductions françaises.

D'Allemagne, à côté du patriarche Ernst Jünger (L'auteur et l'écriture, C. Bourgois) et d'un Günter Grass qui a laissé perplexe avec Les enfants par la tête (Seuil), deux Peter nous ont donné deux livres très originaux, P. Hartling (Hubert ou le retour à Casablanca, Seuil) et P. Schneider (Le sauteur de mur, Grasset). Parrainée par Heinrich Böll, l'immense saga du IIIe Reich Les Bertini (Hachette) de R. Giordano vaut plus que le détour. B. Strauss continue sa passionnante recherche avec Coupes, passants (Gallimard).

En provenance de Vienne, un ancien qui ne quitte jamais l'affiche, Arthur Schnitzler (à qui Pierre Dumayet a consacré l'une de ses meilleures émissions de TV Lire c'est vivre), Le lieutenant Gustel (Calmann-Lévy). Une découverte, celle de Jura Soyfer (disparu à 26 ans à Buchenwald), dont l'association PUF et Centre d'études et de recherches autrichiennes a permis la traduction de plusieurs pièces de théâtre, Astoria et la fin du monde. C'est aussi par le théâtre que les deux ténors de la littérature autrichienne actuelle tiennent le haut du pavé — ou des planches. On veut parler de Peter Handke, avec Par les villages, chez Gallimard (Peter Handke dont on a traduit le premier roman, Les frelons, chez Gallimard, et un récit, Histoire d'enfant), et de Thomas Bernhard, dont Le souffle constitue la seconde livraison de l'autobiographie.

Halte à Trieste

La revue Critique (août-septembre) trace un excellent portrait littéraire, Les mystères de Trieste. Notre voisine a été en France cette année, au cœur de plus d'un débat intellectuel et artistique ; plusieurs essais lui ont été consacrés ; sa présence est grande à Paris. En matière de littérature pure, 1983 marquera par la redécouverte des grands textes de C. E. Gadda, Connaissance de la douleur (Seuil), L'affreux pastis de la rue des Merles (Seuil). Le nom d'A. Savinio revêt presque autant d'importance : Flammarion publie de lui un inédit, Monsieur Dido, et remet en circulation La vie de Fantomas, et Hebdomeros du peintre Giorgio de Chirico, le frère de Savinio. La courte fiction de C. Boito Senso (Actes Sud) est belle ; elle fut adaptée naguère au cinéma par Luchino Visconti, dans un film célèbre. Alberto Moravia revient à d'anciennes inspirations, et 1934 (Flammarion) est l'un de ses meilleurs romans ; L. Sciascia retrouve son éditeur d'origine, M. Nadeau-Papyrus, avec deux textes brefs, Théâtre de la mémoire. Auteur confirmé et d'une rigueur exemplaire, Natalia Guinzburg suit La route qui mène à la ville (Denoël). P. Levi, déjà traduit en français, l'est de nouveau avec Maintenant ou jamais (Julliard). Vitalité et originalité italiennes que confirme G. Bonaviri avec Le dire céleste (Denoël).

La steppe russe

En dehors de la poursuite des œuvres complètes de Soljenitsyne chez Fayard (Août 14 à l'automne 83), la grande affaire sans conteste a été la publication d'un manuscrit que l'on croyait perdu à jamais, Vie et destin (Julliard) de Vassili Grossman, acte d'accusation du régime stalinien aux splendides couleurs de Tolstoï. Autre résurrection, celle de Roman avec cocaïne de M. Agueev (Belfond), qui connut une première édition en 1935 puis disparut de la circulation. Si cet auteur demeure un mystère, Vitaly Afanassiev, lui, est un cas dont la virtuosité nous relie à la tradition métaphysique de la littérature russe ; La disparition (Seuil) en persuade aisément. Le symbolisme est également une tradition très russe, en poésie notamment ; nous connaissons mal cette inspiration dont V. Brioussov fut un des fleurons (L'ange de feu, à l'Âge d'homme). Et comment ne pas évoquer en cette année le centenaire de la mort (en France) du grand Tourgueniev qu'admiraient Flaubert et Maupassant ? De ces ancêtres divers, on remarque toujours les traces chez les contemporains comme Vassili Axionov (Une brûlure, Gallimard) ou V. Bikov (Les morts n'ont plus mal, Temps actuels), voire chez l'écrivain T. Gousseïnov d'Azerbaïdjan (Mohamed, Mahmed, Mahmich, Temps actuels).

Témoignages

Franz Kafka, le Praguois, écrivit directement en allemand, langue de l'empire. Le mérite d'Alexandre Vialatte, son premier traducteur, fut immense, mais on verra un signe des temps dans deux nouvelles traductions du Procès apparues quasi simultanément à l'occasion du centenaire de la naissance de Kafka (B. Lortholary chez Flammarion et G. A. Goldschmidt aux Presses-Pocket). Et pourtant, si l'on est tchèque n'est-ce pas en tchèque que s'exprimera l'inspiration ? En témoignent P. Reznicek (Le plafond, Gallimard), J. Skvorecki (Le saxophone basse, Gallimard), B. Hrabal (Une trop bruyante solitude, Laffont) ; ces livres dépeignent tous l'absurde d'une société et on y ajoutera un document littéraire de premier plan rédigé par un poète exilé, P. Kral, Le surréalisme en Tchécoslovaquie (Gallimard). Handicap linguistique ou non à l'échelon mondial ? Voici le cas du juif polonais Bruno Schulz, fort célébré cette année et dont Denoël réédite Les boutiques de cannelle, Le sanatorium croque-mort, et celui de T. Konwicki, auteur de la célèbre Petite apocalypse, dont Laffont nous propose un nouveau titre La clé des songes contemporains. Comment être un écrivain albanais ? Saisissant l'occasion d'une adaptation cinématographique, Albin Michel ressort Le général de l'armée morte du grand I. Kadaré. P. Istrati, le Roumain, a été quelque peu perdu de vue, l'Arc lui consacre un numéro important.