Cette stratégie libérale permet à P. E. Trudeau de réclamer paradoxalement un mandat clair de l'électorat, après avoir affirmé le 21 novembre qu'il n'était plus l'homme de la situation. Démissionnaire jusqu'au 18 décembre, il revient sur sa décision après une longue réflexion, dans l'espoir, dit-il, de reprendre le pouvoir et de diriger le pays pendant un autre mandat, mais pas davantage.

Épreuve de force

Si la campagne du chef conservateur J. Clark est bonne, et même en certaines occasions excellente, il ne réussit tout de même pas à obtenir la crédibilité qu'il recherche. Le meilleur exemple reste l'épreuve de force entre le Premier ministre et le chef de l'opposition sur le boycottage des jeux Olympiques de Moscou et sur la participation du Canada à l'OTAN. Les libéraux en retirent tout l'avantage, non pas uniquement grâce à l'excellente réputation de P. E. Trudeau en politique internationale, mais surtout à cause du rôle joué par J. Clark dans l'affaire de l'ambassade de Jérusalem et du souvenir qu'il en a laissé.

Des deux tiers-partis, seul le NPD poursuit une véritable lutte électorale, le Crédit social, enclavé au Québec, ayant des difficultés à dénicher des candidats. Les néo-démocrates et leur chef E. Broadbent misent sur trois grands thèmes : l'avenir économique et énergétique du pays, le contrôle du développement des richesses naturelles et la défense du principe de l'universalité du régime de l'assurance maladie. À quelques jours du scrutin, inquiets de la popularité de P. E. Trudeau, ils délaissent J. Clark pour s'en prendre à la politique des libéraux, auxquels ils disputent la paternité de Pétro-Canada.

Iran

Le seul moment où le Premier ministre J. Clark gagne de l'assurance durant la campagne électorale et où le chef de l'opposition P. E. Trudeau perd quelque peu pied, c'est durant la semaine du 28 janvier. L'événement arrive, inattendu, lorsqu'un journaliste du quotidien la Presse de Montréal révèle au monde entier que le Canada a réussi à faire sortir d'Iran 4 diplomates américains et 2 de leurs épouses, cachés à l'ambassade canadienne à Téhéran. À la faveur du retrait des diplomates canadiens annoncé le 27 janvier par le ministre des Affaires étrangères, Flora Mac Donald, ils fuient la capitale iranienne, à bord d'un avion d'une ligne aérienne régulière, en se faisant passer pour du personnel de l'ambassade canadienne.

L'opération canadienne soulève l'enthousiasme des Américains, qui font grand éloge de cette aide importante au moment où l'administration Carter tente d'obtenir un front commun des pays occidentaux contre l'Iran.

Cependant, le Canada est moins populaire en Iran, dont les dirigeants ne tardent pas à réagir. Le 30 janvier, le ministre iranien des Affaires étrangères, Sadegh Ghotbzadeh, déclare que le « Canada paiera pour avoir facilité la sortie clandestine des six Américains ». Il accuse paradoxalement les Canadiens d'avoir violé le droit international et fait porter à Ottawa la responsabilité d'éventuels durcissements, aggravations ou changements d'attitude des étudiants islamiques qui pourraient affecter les otages. Le Premier ministre J. Clark minimise quant à lui ces menaces, d'autant que l'Iran décide de poursuivre ses relations diplomatiques avec le Canada.

Le 8 avril, le Premier ministre Trudeau réaffirme le soutien du Canada aux États-Unis et félicite le président Carter pour « sa diplomatie et sa maîtrise dans le traitement de l'affaire iranienne ». Le chef du gouvernement canadien affirme également qu'il est en pourparlers avec ses principaux alliés et qu'en plus de la rupture diplomatique avec Téhéran il envisage d'autres mesures.

Ralentissement

Sans budget depuis novembre 1978, date à laquelle Jean Chrétien avait déposé le sien sous l'ancien régime Trudeau, celui du ministre John Crosbie étant inopérant par suite du renversement du gouvernement Clark, le Canada souffre d'une économie dont la croissance se ralentit.

Le 21 avril, le nouveau ministre libéral des Finances, Allan MacEachen, présente à la Chambre des communes un minibudget dont les grandes lignes sont calquées sur celui qui a fait chuter le gouvernement Clark. Il est alors contraint de faire une sombre analyse de l'état de l'économie canadienne : les dépenses gouvernementales dépassent 14 milliards de dollars, le taux d'inflation atteint presque 10 %, le chômage touche 8 % de la main-d'œuvre active, le dollar fluctue entre 84 et 86 cents américains et les taux d'intérêt dépassent, le 3 avril, 17 % après une escalade sans précédent. Ce n'est qu'à compter du 10 avril, après une diminution du taux d'escompte aux États-Unis, que le taux de crédit, en plein dérèglement depuis plusieurs mois, se stabilise, puis diminue pour se situer entre 13 et 14 %.