Pourtant, la concrétisation d'un traité laborieusement marchandé — et qui, sans résoudre le conflit du Proche-Orient, a le mérite d'en changer les données — est d'abord un succès personnel pour celui qui nourrissait secrètement l'ambition de laisser dans l'histoire d'Israël une trace au moins égale à celle de David Ben Gourion, le vieux et rude rival des temps héroïques. Paradoxe : le leader du sionisme socialiste aura été l'accoucheur de l'État ; lui, l'héritier de la droite révisionniste, serait l'artisan de la paix ! Aussi Menahem Begin n'a-t-il pas hésité à devancer l'événement en allant le 9 décembre 1978 chercher son prix Nobel à Oslo.

Mais c'est bien le seul succès dont puisse se prévaloir le chef de la coalition nationaliste libérale — Likoud — qui avait mis fin, le 17 mai 1977, à vingt-neuf ans de domination travailliste (Journal de l'année 1976-77). Son autorité au sein du gouvernement et sa popularité en sortent incontestées. Comme ce fut le cas en France avec de Gaulle, l'évolution de la vie politique en Israël dépend de la longévité politique d'un homme qui remplit à lui seul le vide de leadership.

Consensus et déchirement

Or l'an I de la paix débute dans une atmosphère de fin de règne. Un vent d'incrédulité balaie le pays, saturé d'informations contradictoires et devenu indifférent au remue-ménage diplomatique. « Ma yihye hasof ? » — « Comment cela finira-t-il ? » La traditionnelle question qui, depuis 4 000 ans, a accompagné le peuple juif est revenue à l'ordre du jour.

« Comme la succession de chaud et de froid fait éclater les pierres du désert, ces passages répétés du pathétique au grotesque nous feront-ils éclater l'âme ? » s'interroge le poète Haïm Gouri devant l'alternance d'exaltation et d'abattement, de consensus et de déchirement qui, depuis douze mois, semble rythmer la respiration de la société israélienne.

Consensus : « La question de notre survie dans cette région ne se pose plus », affirme Begin. Des accords-cadres de Camp David au traité de Washington, la Knesset a marché au canon, même si les voix hostiles qui s'y sont fait entendre ne sont pas prêtes à se taire.

Consensus : aucun moyen n'est refusé à l'armée (Tsahal) pour s'adapter à la nouvelle situation stratégique créée par la sortie du Sinaï et la formation d'un front du refus réunissant Syrie, Iraq, Jordanie et Iran. Pour faire face au changement intervenu dans le rapport des forces passé de 1 à 3 en juin 1967 à 1 à 5 en 1979, Tsahal a doublé sa puissance de feu d'octobre 1973, rénové son état-major avec l'arrivée de 8 généraux sabras formés dans les para-commandos et développé une industrie d'armement qui, avec 15 000 employés, est devenue la plus importante entreprise d'Israël, exportant cette année pour près de 500 millions de dollars de matériel de guerre.

Mais le seul coût du redéploiement dans le Neguev s'élèvera à 5 milliards de dollars, soit l'équivalent d'un tiers du budget national. Avant même le financement promis par Carter, Begin a dû renouveler à Washington la demande d'aide annuelle de 2,4 milliards de dollars. Ce sont des F-15 fournis par les États-Unis qu'Israël a engagés, le 27 juin 1979, dans un combat aérien au-dessus du Liban qui a coûté cinq Mig aux Syriens.

Avec un endettement extérieur de 15 milliards de dollars — un record qui met le prix de chaque naissance à 5 000 dollars et double celui de chaque immigrant —, l'économie, consacrée pour les deux tiers à la défense et au remboursement des dettes, est devenue le talon d'Achille du Likoud au pouvoir.

Déchirement : une vague de grèves sans précédent marque, le 28 octobre 1978, l'anniversaire de la révolution libérale qui devait ramener l'inflation de 30 à 15 %, freiner la consommation, redresser la balance commerciale et faire d'Israël une place financière internationale. Le ministre des Finances, Simha Erlich, est contraint à renoncer à son plan d'austérité. Le bilan est désastreux. L'indice mensuel des prix bondit de 8,7 % en avril : à ce rythme, le taux d'inflation annuel va atteindre 100 % ! Le système d'indexation, qui s'est traduit par un cadeau de plus d'un milliard de dollars à ses emprunteurs, fait que l'État paie le plus lourd tribut à ce mal endémique, aggravé par le poids des dépenses publiques et par le plein-emploi : trois fois plus d'offres que de demandes.