Avant de partir, le chah a placé ses hommes de confiance à la tête de l'armée, des services de sécurité et de la police. Plus royalistes que le roi, ces hommes feront tout pour saborder les efforts de Bakhtiar. Leur action rejoint celle de Khomeiny qui, de son lointain exil de Neauphle-le-Château, fait le vide autour du chef du gouvernement. Peu à peu, le conseil le régence créé deux jours avant le départ du roi, le Majlis (parlement) et le gouvernement se disloquent sous la pression des religieux. Bakhtiar ne désespère pas pour autant et répète à qui veut l'entendre qu'il est le Premier ministre et qu'il continuera de l'être même après l'arrivée à Téhéran de l'ayathollah Khomeiny, annoncée pour le 26 janvier. Il adresse cependant un message à Neauphle-le-Château pour demander au patriarche chiite de retarder son retour de trois semaines au moins, afin de lui permettre de mieux organiser sa sécurité. Dans la nuit du 24 janvier, l'armée investit l'aéroport de Mehrabad. En réalité, Bakhtiar négocie avec Mehdi Bazargan, le leader du parti de libération de l'Iran, connu pour sa modération, ainsi qu'avec d'autres dirigeants religieux conservateurs de Téhéran, une formule de compromis qui lui permettrait de demeurer au pouvoir afin d'assurer la continuité du régime et épargner au pays les aléas d'un changement révolutionnaire.

L'ayatollah tue dans l'œuf ces tractations en proclamant qu'aucun accord n'est possible avec Bakhtiar, dont le véritable objectif est, selon lui, de gagner du temps pour assurer à plus ou moins longue échéance la restauration de la monarchie. Fin janvier, les manifestations en faveur du retour de Khomeiny sont sévèrement réprimées. Pour la première fois depuis l'arrivée au gouvernement de Bakhtiar, l'armée tire à Téhéran. Désireux d'éviter le pire, Bakhtiar et les militaires modérés cèdent devant la pression populaire et autorisent le retour à Téhéran du leader chiite.

Retour de Khomeiny

Le 1er février, mettant fin à un exil de quinze ans, l'ayatollah Khomeiny, que ses proches qualifient désormais d'imam, arrive à Téhéran, où il reçoit un accueil triomphal. Dans son premier discours public, il demande à nouveau le départ de l'« usurpateur Bakhtiar ». Le 3 février, il confie à Mehdi Bazargan la mission de former un gouvernement provisoire qui sera chargé d'organiser un référendum.

De plus en plus isolé, Bakhtiar s'accroche au pouvoir avec un entêtement qui frise l'inconscience. En fait, il compte sur l'appui de l'armée, qui a effectué une démonstration de force dans les rues de la capitale la veille du retour de l'imam. Un faux calcul, l'armée n'est plus qu'un tigre en papier : affaiblie par les épurations successives, démoralisée sar le départ du chah, profondément divisée entre durs et modérés, minée à sa base par les campagnes de fraternisation menées inlassablement par les religieux, elle s'effondre comme un château de cartes au cours des Trois Glorieuses de février qui marquent la fin de la dynastie Pahlavi.

Paradoxalement, ce sont les ultras de l'armée qui déclenchent le processus qui entraînera la chute du régime. Souhaitant châtier les Homafars (soldats de l'armée de l'air) qui avaient défilé la veille dans les rues de la capitale au cours d'une manifestation pro-khomeinyste, les Djavidan (Immortels) de la garde impériale, le dernier carré des fidèles du chah, montent, le 9 février en début de soirée, une expédition punitive contre la caserne de Douchane Tappeh de l'armée de l'air. Les Homafars résistent et repoussent l'assaut avec l'aide de la population. Le lendemain, les Fedayin et Moudjahidin, les guérilleros marxistes et islamiques de gauche viennent à la rescousse des Homafars. Bientôt, c'est toute la ville qui se soulève. Les autorités avancent à 16 h 30 l'heure d'entrée en vigueur du couvre-feu.

Peine perdue : les foyers insurrectionnels se multiplient à travers la capitale. Les uns après les autres, les commissariats de police sont pris d'assaut. Le 11 février, la manufacture d'armes de la place Jaleh tombe à son tour. Le 12, après la chute de la radio et de la police militaire, le Conseil supérieur de l'armée, « afin d'éviter et de prévenir l'anarchie et le bain de sang », demande aux soldats de regagner leurs casernes. C'est la fin : la garde impériale chargée de la défense du palais de Niavaran se rend à l'aube du 13 février. Dans le courant de l'après-midi, Mehdi Bazargan s'installe dans le palais de la présidence du Conseil, évacué à la hâte deux jours auparavant par Chahpour Bakhtiar et son gouvernement fantomatique.

Comités islamiques

Le problème de la transition a été ainsi réglé par les armes avec une facilité que nul n'avait prévue. Les tâches que le nouveau pouvoir islamique doit résoudre s'avèrent autrement plus ardues. Il lui faut d'abord assurer la mise en marche de l'économie minée par cinq mois de grèves, rétablir l'ordre public dans un pays où tout le monde ou presque est armé et où l'ancien appareil de l'État est en déliquescence, faire face aux revendications autonomistes des provinces périphériques de l'ancien empire et enfin créer de nouvelles institutions étatiques révolutionnaires et redéfinir une nouvelle politique étrangère.