Pour la première fois, le nom du chah est conspué en plein centre de la capitale. Le Palais et l'armée ne tardent pas à réagir. Le 8 septembre, Téhéran et onze des principales villes iraniennes se réveillent sous le régime de la loi martiale. Le général Ali Gholam Oveyssi, connu sous le nom de « boucher de Téhéran » pour le rôle qu'il a joué quinze ans auparavant dans la répression des manifestations religieuses de 1963, est nommé administrateur de la loi martiale.

Des groupes de jeunes qui, défiant la loi martiale, se sont réunis dans la matinée place Jaleh sont froidement abattus. D'autres rassemblements sont réprimés au cours de ce Vendredi noir avec la même férocité. Les morts de cette journée — un millier environ selon les estimations les plus modérées — pèseront lourdement sur la suite des événements. Ils rendent peu crédibles les assurances du Palais, qui affirment que la loi martiale ne met pas en cause la politique de libéralisation, et compliquent davantage les efforts des nouveaux réalistes de l'opposition, qui souhaitent mettre sur pied une formule constitutionnelle où le roi régnerait sans gouverner.

La rue demeure, elle, sous l'influence des thèses révolutionnaires de l'ayatollah Khomeiny. Au début d'octobre, une vague de grèves d'une ampleur sans précédent paralyse le pays. L'arrêt du travail affecte le secteur pétrolier : vers la fin du mois, la production, qui normalement est de 5 à 6 millions de barils par jour, oscille entre 1,4 et 1,5 million — soit une baisse de 75 %. Un climat quasi insurrectionnel règne dans les grandes villes, où les affrontements se multiplient, créant une panique parmi les résidents étrangers et les milieux d'affaires iraniens qui exportent leurs capitaux au rythme de 50 millions de dollars par jour.

Au début de novembre, le chah, toujours à la recherche d'une ouverture politique, reçoit Ali Amini, ancien Premier ministre retiré de la vie politique. Ce dernier, réputé libéral et proche des Américains, avait fait en septembre une rentrée remarquée en suggérant publiquement que le roi « s'éclipse pour un certain temps » afin de sauver la monarchie. Il insiste pour que le souverain compose avec l'opposition modérée. On parle alors d'une rencontre entre le chah et Karim Sandjabi, le secrétaire général du Front national. De Neauphle-le-Château, où il s'est installé depuis le 6 octobre 1978, l'ayatollah Khomeiny lance un nouvel avertissement : « L'opposition se retrouverait entre la vie et la mort si elle accepte que le chah règne et ne gouverne pas. »

Désarroi

Une fois de plus, la rue appuie le leader religieux chiite : les 5 et 6 novembre, les manifestations des étudiants et lycéens contre le régime se transforment en émeutes qui ravagent une partie de la capitale, grâce en partie à l'étrange passivité de l'armée qui livre le centre de Téhéran aux manifestants.

Dans la nuit du 6, Charif-Emami démissionne et est remplacé par le général Gholam Réza Azhari, chef de l'état-major général, un officier de carrière apolitique connu pour sa fidélité au souverain. Le nouveau cabinet, formé en grande partie de militaires, est chargé de mener à bien l'impossible mission qui avait été confiée à son prédécesseur : gagner l'opposition modérée à l'idée d'une solution constitutionnelle tout en réprimant sévèrement les activistes révolutionnaires. Le 7 novembre, douze personnalités de l'ancien régime, dont plusieurs ministres et l'ancien chef de la Savak, le général Nassiri, sont arrêtées pour « abus » et « corruption ». Le lendemain, l'ancien confident du roi, Amir Abbas Hoveyda, qui avait été démis de ses fonctions de ministre de la Cour en septembre, est arrêté à son tour.

Un comité chargé d'enquêter sur la nature et l'origine des biens de la famille impériale, dont les membres quittent le pays en toute hâte, est constitué. Ces mesures, manifestement appelées à frapper les esprits, ne désarment pas les mouvements d'opposition. Grèves et manifestations s'étendent et font tache d'huile ; l'université est fermée sine die. Le 11 novembre, Sandjabi et Forouhar, les deux principaux responsables du Front national, de retour de Paris où ils se sont alignés sur les positions dures de Khomeiny, sont arrêtés devant une centaine de journalistes étrangers.