Faits divers

La bombe comme argument

170 attentats, environ ; autrement dit, une bombe tous les deux jours !

En un an, l'attentat à la bombe s'est banalisé en France. Il est devenu un de ces faits divers qu'on ne retient plus (comme les accidents de la circulation) que s'il est spectaculaire, curieux ou extraordinaire.

Dans une société où le dialogue se rétrécit, où l'intolérance grandit, la bombe est en passe de devenir un mode d'expression au même titre que le tract, la manifestation ou, plus rarement, la prise d'otages.

C'est ainsi que les minorités régionales, n'arrivant pas à se faire entendre, acceptent, sans les condamner, que certains de leurs représentants usent et abusent de ces méthodes.

Autonomistes

Soixante attentats revendiqués en Corse par les autonomistes (dont le journal Arristi est à son tour plastiqué), une trentaine en Bretagne. Corses et Bretons s'en prennent à tout ce qui représente cet État centralisateur honni : gares, postes, perceptions, gendarmeries, palais de justice. Mais, dénonçant « l'impérialisme économique français », ces groupes visent également des banques, des installations d'EDF ou des villages de vacances, comme, en Corse, ceux du club Méditerranée à Cargèse et Sant' Ambrogio, ou le Palm Beach de Calvi. Le record de ce qui prend parfois des allures de guérilla appartient aux autonomistes corses : 10 attentats dans la seule nuit du 18 au 19 juillet 1976, alors qu'un des leurs va passer en jugement et, moins de deux mois plus tard, une manifestation se termine par le plasticage d'un Boeing d'Air France sur l'aéroport d'Ajaccio, geste inutile et absurde qui voulait crier le problème des liaisons aériennes entre la Corse et le continent.

À tous les niveaux, la concertation achoppe de plus en plus, et le débat politique se met parfois à ressembler à une répétition de guerre civile. Dans ce climat tendu, des esprits simples peuvent espérer régler leur problème par le terrorisme : c'est ainsi que s'expliquent peut-être les plasticages qui visent des succursales de l'Agence nationale pour l'emploi ou les locaux du service reconversion d'Usinor-Thionville.

Intolérance

Mais on retrouve aussi l'importation en France d'intolérances et de conflits étrangers : attentats contre les ambassades d'URSS et d'Albanie, contre des banques espagnoles ou l'Office du tourisme turc.

Et puis, il y a les traditionnelles expéditions punitives contre les rouges ou les fascistes, perpétrées par celui des deux camps qui veut effacer jusqu'à l'existence de l'autre. C'est ainsi que Jean-Marie Le Pen, le leader du Front national, échappe de justesse à l'explosion qui souffle une partie de son immeuble, que la Bourse du travail de Grenoble, que des Fédérations régionales du PC, des librairies parisiennes comme Maspero, la librairie Palestinienne ou la librairie du Globe, les sièges des Éditions sociales, de Black Hebdo ou de Rouge sont tour à tour plastiqués.

Franchissant un degré supplémentaire dans le fanatisme, certains n'acceptent pas qu'on professe des opinions antiracistes ou humanitaires : ils visent alors les bâtiments qui abritent le Mouvement contre le racisme, l'antisémitisme et pour la paix, la Ligue contre l'antisémitisme, la Ligue des droits de l'homme ou des associations de déportés.

Intolérance et ses corollaires (violence et bombe) sont aussi le recours de débats dont on peut penser que tous les arguments n'ont pas encore été épuisés. Pourtant, des bombes sont venues troubler des dialogues sur l'écologie ou le nucléaire : les sites du futur barrage de Naussac ou de la centrale de Flammanville ne sont peut-être que les premières cibles d'une longue série.

Tous ces attentats ne font que des dégâts matériels. Le plus souvent, on s'en prend aux biens, pas aux personnes. Mais certains poseurs de bombe ont déjà franchi l'étape qui consiste à chercher non plus à faire peur ou à attirer l'attention, mais peut-être à tuer ; on s'en est pris, par exemple, aux villas ou aux voitures d'Edmond de Rothschild, de maître Rheims ou du ministre Jean Tibéri.

Une affaire impénétrable : l'assassinat du prince de Broglie

Un drôle de soleil brille sur Paris ce matin du 24 décembre 1976, un soleil qui n'arrive pas à faire oublier le froid qui engourdit la ville en cette veille de Noël.