Jean de Broglie se hâte en quittant le 2 de la rue des Dardanelles. À peine a-t-il franchi les deux mètres de jardinet qui bordent cet immeuble quelconque du 17e arrondissement qu'un homme vêtu d'un blouson et d'un jean l'aborde. Un semblant de discussion s'engage, puis l'inconnu sort un revolver de sa poche et tire trois fois. Jean de Broglie s'effondre sur le trottoir. Il est environ 9 h 20. L'affaire Broglie commence.

Très vite, la police boucle le quartier. La presse des grands jours se bouscule à l'angle du boulevard Pershing. Car, à 55 ans, Jean de Broglie n'était pas seulement le descendant d'une des plus illustres familles françaises. Ancien secrétaire d'État du général de Gaulle, négociateur des accords d'Évian, co-fondateur de la Fédération nationale des républicains indépendants, président de la commission des Affaires étrangères à l'Assemblée nationale de 1969 à 1973, Jean de Broglie est toujours le député de l'Eure.

Mobile

Le meurtre est revendiqué par un groupuscule d'extrême droite, mais la police n'y croit pas. En étudiant l'agenda que Jean de Broglie portait sur lui, les inspecteurs de la PJ découvrent les coordonnées d'un de leurs confrères du commissariat de la Défense, Guy Simone, âgé de 33 ans. La suite de l'enquête permet d'identifier les autres membres du commando : Gérard Freche, dit Petit Gérard, un repris de justice de 31 ans, Serge Tessedre et Simon Kolkowicz, personnages falots qu'on a peine à qualifier de truands. Et, le 26 décembre, la filature de Simone ramène les policiers au 2 de la rue des Dardanelles, où habitent deux hommes d'affaires, Pierre de Varga et Patrick Allanet de Ribemont.

Les arrestations effectuées, les interrogatoires et perquisitions permettent très vite de conclure. Et Michel Poniatowski, à l'époque, ministre de l'Intérieur, qui tient le 29 décembre une conférence de presse sur la criminalité, en profite pour annoncer lui-même à la presse « un coup de filet complet ». Il y a là des comparses, certes, mais aussi un tueur à gages, Freche, un maître d'œuvre, Simoné, et surtout deux commanditaires, Varga et son ami Ribemont. Tous deux nient, alors que Freche et Simoné ont avoué.

Le mobile se trouve inscrit noir sur blanc dans les papiers saisis chez Pierre de Varga. Il apparaît, en effet, que Jean de Broglie a servi de prête-nom à Pierre de Varga et à Patrick de Ribemont pour l'achat de la Rôtisserie de la reine Pédauque, un grand restaurant parisien. Quatre millions empruntés par Jean de Broglie à la BNP étaient remboursés par les deux hommes d'affaires, et garantis auprès de la banque par une assurance-vie souscrite sur la tête du député. Celui-ci détenait en gage les actions de la Rôtisserie, qu'il restituait à ses propriétaires au fur et à mesure des remboursements.

« Broglie mort, dit la police — et avec elle Michel Poniatowski —, l'assurance-vie couvrait la dette auprès de la banque. C'est l'intérêt crapuleux qui a poussé les deux affairistes à commanditer le meurtre. » Simoné, le policier véreux, accuse formellement Varga.

Contre-enquête

Cette thèse est très vite critiquée par les familles des deux principaux accusés. Elles affirment que Jean de Broglie allait consentir un nouveau prêt aux deux hommes ; « on ne tue pas la poule aux œufs d'or » affirme Pascale de Varga, la fille de l'homme d'affaires, qui mène une contre-enquête. Elle reconnaît que son père, qui a passé cinq ans en prison pour escroquerie et abus de confiance, est « un jongleur, mais pas un assassin ».

Elle promet une conférence de presse fracassante, où elle le disculpera preuves à l'appui et confondra les vrais commanditaires ; Simone n'a-t-il pas affirmé : « J'ai l'impression que Varga lui-même, pour qui j'ai organisé le meurtre, obéissait à des directives. »

Mais des menaces de mort et surtout la révélation, de source policière, de l'existence d'une lettre accusant formellement Ribemont et Varga, entraînent l'annulation de cette conférence de presse. Dans cette correspondance, Patrick de Ribemont écrivait à Jean de Broglie en concluant l'affaire de la Reine Pédauque : « Si vous décédiez, la dette se trouverait éteinte. » Cela ne prouve rien affirment les avocats ; qui publient deux autres lettres d'où il ressort, au contraire, que la dette restait due aux héritiers de Jean de Broglie.