Dans les semaines suivantes, des échanges de lettres se poursuivent cependant, sans apporter d'apaisement. Bien plus, une nouvelle missive de Paul VI, datée du 11 octobre, provoque une autre polémique : on laisse entendre à Écône qu'elle exige du prélat une « reddition sans condition » et la remise au Saint-Siège de ses œuvres financières ; une fois encore, le Vatican dément, avant de rendre public, le 30 novembre, le texte de cette missive. Le 3 décembre, Mgr Lefebvre répond : « Chercher à contraindre notre œuvre à accepter une nouvelle orientation qui a des effets désastreux dans toute l'Église, c'est l'obliger à disparaître comme tant d'autres séminaires. »

Ainsi s'installe-t-on dans la division. Les effets de celle-ci sont plus sensibles en France que dans les autres pays de l'Europe occidentale.

Prudence

L'assemblée plénière de l'épiscopat français, qui se tient à Lourdes du 23 au 30 octobre, en apporte la confirmation. Dans son discours inaugural, Mgr Etchegaray évoque « une secousse sismique dont on connaît bien l'épicentre et moins bien l'amplitude ». Cette secousse, dit-il, « a provoqué ou élargi des crevasses qui nous invitent avec prudence, non certes à changer de route, mais à nous arrêter un instant, juste le temps de mieux savoir pourquoi ça ne suit pas autant qu'on le souhaitait ou qu'il le faudrait ». La plupart des observateurs en concluent que les évêques s'apprêtent à faire leur autocritique ou du moins à donner un coup de frein au changement. Et cette tendance paraît confirmée par le texte d'une Lettre aux catholiques de France, adopté le 25 octobre par 110 voix contre 5 et 2 abstentions. Elle constitue en effet un appel à appliquer les décisions du Concile, mais seulement du Concile. Le Vatican encourage les évêques dans cette voie : recevant, à la fin de mars 1977, les chefs des diocèses du Centre, Paul VI les met en garde contre toute expérience nouvelle.

L'heure est à la prudence. Certains voudront voir les signes d'un changement d'orientation dans les changements d'affectation de deux prêtres parisiens, le P. Bernard Feillet, de la chapelle Saint-Bernard de Montparnasse, et le P. Pierre Talec, directeur du Centre de pastorale Jean-Bart, dont le premier au moins est considéré comme un prêtre d'avant-garde. Mais l'archevêché de Paris dément cette interprétation. En sens inverse, le Conseil permanent de l'épiscopat condamne les auteurs du livre Les fumées de Satan, publié par l'association traditionaliste Credo et qui entend dénoncer les manquements aux règles doctrinales, morales, liturgiques « qui se multiplient actuellement dans l'Église ». Le 21 octobre 1976, le maître général des dominicains et les trois provinciaux de l'ordre en France déclarent dans un communiqué qu'ils « désavouent totalement les prises de position et les attaques inadmissibles du père Bruckberger contre le pape et les évêques de France ».

Église occupée

L'épreuve la plus rude survient le 27 février 1977. Ce jour-là, des catholiques traditionalistes, conduits par l'abbé Ducaud-Bourget (depuis quelques mois celui-ci n'est plus aumônier de l'ordre de Malte et a perdu de ce fait le titre de Monseigneur) occupent l'église Saint-Nicolas-du-Chardonnet à Paris, où ils célèbrent pendant plusieurs semaines la messe selon le rite de saint Pie V. Ils placent le cardinal Marty dans une position difficile : ou bien il laisse faire, accordant ainsi droit de cité à des groupes qui, ouvertement, désobéissent au Vatican ; ou bien il fait appel à la police, mais alors il se fait accuser d'intolérance, intolérance d'autant plus choquante qu'en d'autres occasions l'Église a toléré l'occupation de ses bâtiments par des groupes non religieux (prostituées, grévistes de la faim, etc.).

Après diverses tentatives de conciliation et une consultation extraordinaire de tous les curés de la capitale, l'archevêque décide de faire appel à la justice.

Le 1er avril, le tribunal des référés ordonne l'expulsion. Mais cette ordonnance, aussitôt frappée d'appel, n'est pas immédiatement exécutée. Du côté de la police et de la justice, d'ailleurs, on estime qu'il est prudent d'attendre. Et, le 22 mai, les occupants de l'église Saint-Nicolas vivent une grande journée : Mgr Lefebvre en personne vient y confirmer des enfants. Or, il explique qu'il agit ainsi parce que les catholiques parisiens ont bien droit à des sacrements « valides » : c'est jeter la suspicion sur la validité des sacrements administrés par l'archevêque de Paris et ses auxiliaires. L'abbé Ducaud-Bourget, plus direct encore, écrit au cardinal Marty : « Je veux être condamné par vous (...) afin que le monde entier sache que vous et les vôtres n'êtes plus catholiques romains. »