Les dirigeants, puis tout le pays, se persuadent qu'un vaste complot international vise à isoler et à étouffer la révolution algérienne, jugée « trop remuante et trop indocile ». En mars 1976, une violente opposition au « pouvoir personnel » de Boumediene se manifeste pour la première fois à l'intérieur du pays. Le gouvernement y voit aussitôt un second complot destiné à déstabiliser le régime. Ces deux crises ont des répercussions sur la politique intérieure et la politique étrangère algériennes.

Complot

« Halte à la guerre ! Halte au pouvoir personnel ! » Lorsque, le 12 mars 1976 au matin, un appel au peuple axé sur ces deux thèmes commence à circuler dans Alger, il fait l'effet d'une bombe. Il est en effet signé de quatre noms célèbres, ceux de quatre chefs historiques de la Révolution algérienne : Ferhat Abbas, ancien Président du gouvernement provisoire de la République algérienne, Ben Youssef Ben Khedda, lui aussi ancien président du GPRA, Hacine Lahouel, ex-secrétaire général du PPA et du MTLD, et Cheikh Mohammed Kheireddine, ancien membre du Conseil de la Révolution.

Cet appel, communiqué aux agences de presse et aux ambassadeurs à Alger, s'élève contre un conflit avec le Maroc, contre le régime de pouvoir personnel du président Boumediene, mais il demande aussi l'élection d'une assemblée nationale constituante et le rétablissement des libertés d'expression et de pensée. Plus encore que le contenu, c'est l'origine qui intrigue : qu'est-ce qui a pu décider des hommes comme Ferhat Abbas et Ben Khedda, silencieux depuis quatorze ans, à reprendre une activité politique oppositionnelle ? Qui est derrière les anciens ? Qui les inspire ? S'agit-il, comme le dit la voix officielle, d'une manifestation ultime de la réaction bourgeoise, avant le vote de la Charte nationale qui doit légitimer le régime en place depuis 1965 ?

En tout cas, l'appel des quatre coïncide avec une vague de mécontentement populaire : les prix montent, le chômage aussi, le pétrole se vend mal, la bureaucratie est pesante, et, surtout, la réforme agraire, qui se poursuit, suscite de plus en plus l'opposition des grands et des petits propriétaires fonciers. Les leaders de l'opposition algérienne extérieure (Boudiaf, Lebjaoui, Aït Ahmed, Kaït Ahmed) rejoignent Ferhat Abbas et Ben Khedda (assignés à résidence mais pas arrêtés). Va-t-on vers une répression et vers un durcissement intérieur ?

Curieusement, non. Le choc, au contraire, provoque un réflexe de libéralisation, au moins formelle. Les différentes consultations électorales prévues sont maintenues. Avant le vote de la Charte nationale (qui sera un véritable guide idéologique), le pouvoir provoque une vaste campagne de critiques publiques sur tous les aspects du régime. Cette mini-révolution culturelle fait, semble-t-il, baisser la tension. Elle révèle aussi les revendications profondes du peuple algérien, qui demande, en particulier, une plus grande liberté de la presse et de l'information, une moralisation de la vie publique et, dans une certaine mesure, une réaffirmation à la fois du socialisme et des caractères islamiques du pays. Le texte final de la Charte tiendra compte de ces aspirations. L'islam est décrété religion d'État. L'option socialiste est confirmée. La Charte est votée le 27 juin 1976, par 98,5 % des voix.

Encerclement

L'Algérie estime que, si l'Espagne a accepté de céder devant le Maroc et la Mauritanie dans l'affaire saharienne, c'est en partie à cause des pressions de la France. Lorsque cet axe Rabat-Paris-Madrid se complète du ralliement de Bourguiba aux thèses marocaines, on parle ouvertement à Alger d'un « encerclement diplomatique », qui entraîne une radicalisation de toute la politique étrangère algérienne, au Proche-Orient comme dans le tiers monde. Mais c'est surtout la France qui subira le contrecoup du raidissement politique d'Alger.

Les promesses faites par le président Giscard lors de sa visite à Alger n'ont pas été tenues : les échanges se détériorent, et rien, semble-t-il, n'est fait par Paris pour les rééquilibrer. Le déficit commercial algérien, qui était de 1,5 milliard de dinars en 1974, s'élève à 5 milliards de dinars en 1975.