Quelles conclusions tirer de ces deux procès, jugés à Versailles ? D'abord que l'opinion publique pèse d'un poids considérable dans la balance de la justice. Ensuite que les jurés se déterminent plus en fonction de la personnalité de l'inculpé que de son crime. C'est humain, sans doute, mais est-ce juste ?

Deux tragédies : Aléria et Montredon

Les autonomistes de l'ARC (Action pour la renaissance de la Corse) tiennent leur congrès à Corte le 17 août 1975. Le ton des discours et des interventions est vif. Les participants se prononcent pour la lutte révolutionnaire. Leurs propos sont en quelque sorte la préface aux violences qui se produiront quatre jours plus tard.

Une cinquantaine d'agriculteurs, armés, investissent, le jeudi 21 août, à 7 h du matin, la cave vinicole d'un pied-noir, Henri Depeille, à Caterraggio près d'Aléria. Le docteur Edmond Simeoni, leader de l'ARC, est à leur tête.

Les militants, par ce coup de force, veulent dénoncer publiquement le « colonialisme agricole »; ils accusent, en outre, Henri Depeille et cinq autres rapatriés d'Algérie, propriétaires de caves vinicoles, « d'avoir bénéficié de prêts exorbitants » et d'avoir « mis sur pied une énorme escroquerie au préjudice de petits viticulteurs ». Enfin, ils réclament la libération de Dominique Cappretti, incarcéré à Ajaccio pour violence envers agents.

À l'aube du 22 août, d'importants renforts de police (venus du continent) débarquent en hélicoptères. C'est l'escalade. Ils entourent le domaine de la SOVICOR (Société vinicole de la Corse orientale). La riposte des insurgés est immédiate. Un commando s'empare de quatre ouvriers nord-africains et de deux touristes (en réalité deux de leurs partisans) et les gardent en otages. Une grande partie de la journée, forces de l'ordre et insurgés restent face à face. À 16 h, après de vaines tentatives de négociations, les policiers font les sommations d'usage et lancent des grenades lacrymogènes. Le drame éclate alors. Les occupants du domaine ripostent à coups de fusil. Le bilan est lourd : deux morts et deux blessés parmi les forces de l'ordre, un blessé grave chez les manifestants. À 17 h 40, c'est la reddition. Edmond Simeoni se rend au sous-préfet de Bastia ; il sera conduit à Paris, dans la nuit, pour être déféré devant la Cour de sûreté de l'État (le procès s'ouvre le 17 mai 1976 et le jugement est prononcé le 22 juin : 5 ans de prison dont deux avec sursis).

Les insurgés, profitant de l'émotion générale, quittent le domaine sans être inquiétés (dix d'entre eux, seulement, seront appréhendés quelques jours plus tard et laissés en liberté provisoire). En fin de journée, le drame d'Aléria secoue toute la Corse. À 20 h, la cave et la villa d'Henri Depeille sont incendiées par des éléments irresponsables. À Bastia, la tension connaît son comble. Toute la nuit, des accrochages ont lieu entre forces de l'ordre et population. Bastia prendra, à plusieurs reprises, le visage de l'émeute.

Le 26 août, première mesure d'apaisement Dominique Cappretti est libéré. Le lendemain, l'ARC est dissoute. En fait, le feu continue de couver.

Montredon

Quelques mois après le drame d'Aléria, un scénario presque identique se reproduit, dans le Midi viticole, cette fois. Au cours d'une des manifestations qui se multiplient depuis quelques mois, un vigneron déclare dans une interview : « Si cela continue, nous sortirons nos fusils. » Et, une nouvelle fois, au début du mois de mars 1976, la passion l'emporte sur la raison. À l'origine du sanglant incident de Montredon, une manifestation d'environ 3 000 viticulteurs qui réclamaient la libération de deux des leurs, incarcérés pour avoir participé le 1er mars à la mise à sac des chais Ramel, à Meximieux (Ain). Pierre Ramel, un gros importateur de vins italiens, est la bête noire des vignerons ; ils l'accusent de ruiner la viticulture languedocienne.

Le jeudi 4 mars, à 12 h 30, les viticulteurs se rassemblent sur le pont de Montredon, situé à cinq kilomètres de Carcassonne ; un point stratégique qui permet de bloquer la circulation ferroviaire et routière. Les manifestants dressent des barrages, brûlent des pneus, arrêtent un train de marchandises et incendient deux wagons. Munis de fusils lance-grenades, une première vague de policiers s'avance. Les viticulteurs ouvrent le feu. Le colonel Joël Le Goff s'écroule mortellement touché ; plusieurs policiers sont blessés. Au tir des viticulteurs répond celui des forces de l'ordre. La fusillade dure une demi-heure. Un viticulteur, Emile Poutes est tué. On dénombre 22 blessés parmi les policiers et environ une dizaine chez les manifestants.