Rarement une industrie aura connu une crise semblable à celle de 1975 : des capacités de production utilisées à 50-60 %, des licenciements massifs (en Allemagne sinon en France), l'arrêt complet d'installations gigantesques, comme le vapocraqueur de Carling. Du fait de la baisse des prix de certains produits comme les matières premières organiques, les plastiques et les fibres synthétiques (qui n'en avaient vraiment pas besoin), les chiffres d'affaires ont généralement baissé plus fortement que la production. Le chiffre d'affaires de Rhône-Poulenc (17,7 milliards de F) a reculé de 13 % (grâce au marché soutenu des produits pharmaceutiques), celui de l'allemand BASF de 17,4 % (société mère), celui de l'italien Montedison de 12 %. On n'avait jamais vu ça depuis la dernière guerre mondiale.

Pertes

Le secteur le plus touché a été celui des fibres chimiques, grosses consommatrices de dérivés du pétrole, comme l'éthylène et le propylène, et dont le marché des pays développés s'est littéralement effondré. La production a baissé de 19 % en Europe, de 11 % aux États-Unis et au Japon. En revanche, elle s'est accrue de 6 % dans le reste du monde, qui représente désormais le tiers de la production mondiale, soit pour la première fois davantage que les États-Unis (28 %).

C'est pourquoi les entreprises pour lesquelles les fibres représentent une part d'activité significative ont été les plus durement touchées au niveau de leurs résultats. Rhône-Poulenc a perdu 800 millions de F, le hollandais Akzo 500 millions, l'italien Montedison plus d'un milliard. Les allemands Bayer, Hoechst s'en tirent avec une baisse de moitié de leurs bénéfices, et le britannique ICI, dont la gestion fait l'admiration de ses concurrents, a limité les dégâts de manière spectaculaire.

Il est bien évident que l'effondrement d'un marché aussi fondamental que celui des produits chimiques ne peut pas avoir un caractère durable. Il n'empêche que, dans ce secteur sinon dans d'autres, rien ne sera plus tout à fait comme avant. Les pays de l'Est, certains pays asiatiques et d'Amérique du Sud occupent de plus en plus largement le terrain dans les engrais, les fibres, les produits de base. D'autres suivront. Les géants américains (du Pont de Nemours, Dow, Union Carbide, Monsanto), moins touchés que les européens du fait d'une moindre hausse de leurs coûts de production, augmentent massivement leurs investissements aux États-Unis. Ces manœuvres sont de nature à la fois à restreindre les débouchés extérieurs des Européens (et des Japonais) et à provoquer une concurrence supplémentaire sur leurs marchés nationaux, au moment même où le fait de travailler en sous-capacité ne justifie pas nécessairement de nouveaux investissements, au demeurant ruineux pour des entreprises le plus souvent exsangues.

En dépit des attaques des écologistes contre les matières plastiques ou des consuméristes contre les colorants, le problème de l'industrie chimique n'est pas celui de sa croissance. Que ce soient le textile, le bâtiment, l'automobile, toutes ces industries, actuellement en reprise, consommeront une part croissante de produits d'origine pétrolière. Le tout est de savoir où ces produits seront fabriqués : sera-ce dans l'Oural, dans le golfe Persique ou bien à Péage-de-Roussillon, petite ville discrète de la vallée du Rhône devenue célèbre en un jour parce que Rhône-Poulenc voulait y fermer une usine vétusté ?

Pour le premier fabricant français, l'avenir paraît semé d'embûches, et la société a ressenti d'autant plus durement la crise qu'elle était en pleine réorganisation. Certaines de ses nouvelles structures de direction ont été durement éprouvées, ce qui s'est traduit par le départ, volontaire ou non, de plusieurs de ses principaux dirigeants. Une véritable réorganisation de la division textiles s'impose au moment où la société manque cruellement d'argent et où la tension sociale s'accroît sensiblement. Bref, si Rhône-Poulenc est un groupe viable, il reste encore à prouver qu'il existe en France des hommes pour ce faire.

Textiles

Une lourde menace : les importations

L'industrie textile illustre de manière exemplaire la grande peur née de la crise pétrolière de l'automne de 1973. En 1975, le volume des ventes au détail a été grosso modo le même qu'en 1974, alors que la consommation des ménages progressait de 3 %. Le consommateur a donc fait le gros dos. Il a différé l'achat d'articles textiles (alors que sa consommation avait augmenté de 2,5 % en 1974).