En septembre, après une longue navette parlementaire, les Chambres adoptent le projet d'article dit conjoncturel proposé par le gouvernement. Ce texte constitutionnel, dans sa version définitive, donne à la Confédération de nouveaux moyens d'intervention dans le domaine économique. Elle pourra :
– prendre des mesures qui dérogent à la liberté du commerce et de l'industrie ;
– décider, à des fins purement conjoncturelles, des hausses ou des diminutions d'impôts ;
– diminuer, si nécessaire, la part des cantons aux recettes du fisc fédéral.

Une bataille d'une rare vivacité s'engage autour de ces dispositions. Le centre et le centre gauche (théoriquement, une écrasante majorité) recommandent aux électeurs un « oui » qui permettra, disent-ils, à l'État fédéral de jouer son rôle de timonier dans la tempête. La droite et l'extrême gauche prônent le « non ». Elles jouissent de l'appui des fédéralistes, qu'effraient les nouvelles atteintes à l'autonomie financière des cantons, et de l'Union des arts et métiers, prompte à dénoncer toute espèce de dirigisme économique. La cause parait entendue. Elle ne l'est nullement.

Xénophobie

En octobre 1974, le peuple et les cantons sont appelés à se prononcer sur la nouvelle initiative xénophobe, celle de l'Action nationale et de son chef, le Zurichois Valentin Œhen. Celui-ci reçoit, en dernière minute, un appui plutôt compromettant : celui de Radio-Ouganda, qui encourage les Suisses à voter l'initiative, à « expulser les exploiteurs étrangers », bref, à suivre la voie que le « président Amin lui-même a montrée au monde ».

Mais Radio-Ouganda n'a pas beaucoup d'auditeurs en Suisse, et le résultat réjouit les plus optimistes parmi les adversaires de l'Action nationale (au nombre desquels figure, cette fois, James Schwarzenbach) : les électeurs disent « non » par 1 689 870 voix contre 878 739, et tous les cantons se rangent dans le camp des opposants.

Le peuple suisse refuse de prendre les Italiens pour les boucs émissaires de ses difficultés. Il approuve implicitement le gouvernement, auquel répugnent les mesures brutales, mais qui, pas à pas, obstinément, freine puis bloque l'accroissement de la population étrangère. Ce scrutin n'annonce pas, comme on serait tenté de le croire sur le moment, une période de détente politique.

Faut-il écrire que les lettres suisses-romandes se décloisonnent, ou que la France, enfin, lorgne par-dessus ses frontières ? Après le Goncourt de Jacques Chessex (1973), Georges Borgeaud obtient, le 18 novembre 1974, le Renaudot pour son Voyage à l'étranger. Et, le 5 mai 1975, c'est sur la tête de l'écrivain valaisan Corinna Bille, la femme de Maurice Chappaz, que se pose une couronne de lauriers : elle obtient le Goncourt de la nouvelle pour La demoiselle sauvage.

Sourde oreille

Deux mois plus tard, le 8 décembre 1974, la terre parait trembler. Les électeurs doivent se prononcer, ce jour-là, sur une impressionnante série de projets importants. Ils ont devant eux l'assurance maladie obligatoire dans deux versions : celle que propose le parti socialiste et celle que lui opposent les Chambres. On leur demande, ensuite, d'accepter un tour de vis fiscal. L'impôt sur le chiffre d'affaires passerait de 4,4 à 6 %. L'impôt fédéral direct serait alourdi pour les revenus importants : son taux de progression ne s'arrêterait plus à 10,45 mais à 12 %.

Pourquoi ces mesures ? Parce que les caisses de l'État sont vides. Jusqu'en 1972, la prospérité de l'industrie et du commerce a procuré à l'État des rentrées considérables. On en a profité pour accélérer l'équipement du pays : autoroutes, hôpitaux, laboratoires de recherche, sécurité sociale. Mais on n'a pas constitué de réserves. La hausse des prix, le ralentissement des affaires et le démantèlement des tarifs douaniers (consécutif au traité de libre-échange avec la CEE) se conjuguent tout à coup pour assécher le pactole. Et le chef du département des Finances, le conseiller fédéral Georges-André Chevallaz, multiplie les avertissements et les cris d'alarme. Les déficits se chiffrent par milliards.