Le premier événement de l'été 1974, bien qu'il se place également sous le signe du crabe, est d'une espèce très différente.

Avortement

Depuis longtemps la controverse sur l'avortement couvait. Une initiative fédérale a été déposée ; elle demande la décriminalisation, autrement dit le vote d'une disposition constitutionnelle prescrivant que l'interruption de grossesse ne serait punissable en aucun cas. Exigence excessive aux yeux d'une très grande majorité des citoyennes et des citoyens.

Le gouvernement prépare un contre-projet. Tout va dépendre de ses propositions. Libérales elles permettront de résoudre assez vite le problème en faisant l'économie des polémiques et des affrontements que l'opinion suit attentivement dans les journaux allemands et français. Conservatrices, elles satisferont les milieux les plus stricts (les démocrates-chrétiens de Suisse centrale en particulier), mais elles feront hurler les autres.

Kurt Furgler, chef du Département fédéral de justice et police, qui devait préparer ce dossier, s'en dessaisit en juin 1974. Sa conscience, explique-t-il, lui interdit de prêter la main à quelque réforme que ce soit du droit pénal en vigueur. Incident exceptionnel : le système collégial oblige, en principe, chacun des membres de l'exécutif à rester solidaire de l'ensemble. Un ensemble en l'occurrence fort peu audacieux, qui rejette la solution des délais.

Si, dans certains cas graves et rares, l'avortement reste ou devient admissible, on n'assouplit guère la législation en vigueur. Une étonnante situation risque de se créer : les cantons dits libéraux (Vaud, Genève, Neuchâtel et Bâle), où, dans la pratique, on obtient assez facilement l'autorisation d'interrompre une grossesse, devraient revenir en arrière, serrer la vis, adapter bizarrement les mœurs à la loi : des rébellions en perspective.

L'affaire débouche sur le plan parlementaire. La commission du Conseil national, dans un premier temps, se rallie aux propositions du gouvernement. Mais la France ayant réformé son propre droit pénal, un des commissaires change d'avis, ce qui suffit à faire triompher, provisoirement, à une seule voix de majorité, la solution des délais.

Péripéties haletantes... péripéties quand même. En mars 1975, le plénum du Conseil national entame son débat sur l'avortement. Il dure trois jours. Et n'aboutit à rien. Unanimes, remarquablement manœuvriers, les démocrates-chrétiens obtiennent une majorité négative sur l'ensemble de la loi. On en reste au statu quo !

Le Conseil des États (dont on n'espère pas une attitude très différente) s'apprêtent à se saisir du problème. Les auteurs de l'initiative décriminalisante comprennent qu'ils n'ont pas la moindre chance de parvenir à leurs fins. Ils annoncent leur intention de se replier sur des positions plus modérées. Ils retireront leur projet, mais en lanceront un nouveau, qui tendra, lui, à l'inscription dans la Constitution fédérale de la solution des délais. La décision détend quelque peu l'atmosphère. Citoyennes et citoyens ne seront plus mobilisés pour écarter (il n'y a pas le moindre doute qu'ils l'écarteraient) la libéralisation totale de l'interruption de grossesse. En revanche, ils devront se prononcer sur le même problème que leurs députés, et dire s'ils veulent ou ne veulent pas qu'un fœtus puisse être éliminé dans les dix semaines qui suivent la conception.

Difficultés financières

D'autres nuages s'amoncellent à l'horizon. Les incertitudes conjoncturelles ont pour double effet de mettre l'État fédéral en difficulté financière et de raidir en même temps les citoyens-contribuables, qui, inquiets de leur propre sort, n'ont nulle envie d'impôts encore plus lourds. En août 1974, le Conseil fédéral augmente, avec effet immédiat, les taxes prélevées sur l'essence et les huiles de chauffage. Plusieurs référendums sont déposés contre cette décision : l'Alliance des indépendants veut protéger les automobilistes, le Mouvement populaire des familles juge inadmissible que les locataires paient le mazout plus cher.