Mais le président est amer. Il se plaint publiquement du manque d'homogénéité de la gauche et reproche aux partis de l'Unité populaire de n'avoir pas assez travaillé à donner aux masses une « conscience politique ». Au sein de la coalition gouvernementale, les divisions s'accentuent. La rupture entre le MIR et ceux qu'il dénonce comme « réformistes », c'est-à-dire les communistes, est totale. À la fin du mois d'août, le MAPU reconnaît : « Il y a des fautes graves dans notre direction et du désarroi dans nos rangs. »

Inflation

La dégradation catastrophique de la situation économique est à l'origine tant des conflits politiques que du mécontentement populaire.

Car la hausse considérable des salaires, conjuguée à une situation de pénurie (limitation des importations, baisse de la production) a entraîné une inflation galopante. Pour 1972, celle-ci aura atteint 150 % selon les autorités et beaucoup plus selon l'opposition. En outre, les tentatives de blocage des prix de certains produits de base n'ont fait que généraliser le marché noir.

Sur le plan financier, les réserves sont épuisées alors que le déficit de la balance des paiements s'élève en 1972 à 250 millions de dollars. Les crédits et les investissements étrangers n'ont cessé de se raréfier. Les prêts américains, en particulier, sont passés en dix-huit mois de 220 millions de dollars à 26 millions de dollars.

Manifestations

Reconnaissant les erreurs de parcours, le parti communiste multiplie les autocritiques et réclame notamment, en liaison avec les socialistes, une réforme du secteur agraire. Dans le domaine de la distribution, le gouvernement lance une offensive contre les spéculateurs ; mais les commerçants, hostiles à la fixation autoritaire et à la surveillance des prix, se mettent en grève. Pour obtenir la réouverture des magasins, le gouvernement doit accepter une hausse des produits de première nécessité. Dans l'espoir d'atténuer l'impopularité de cette mesure, le cabinet présente un projet d'augmentation générale des salaires de 700 escudos (214 F) par mois à partir du 1er octobre 1972.

Les partis d'opposition espèrent bien profiter des difficultés du régime pour prouver son incapacité, au besoin en favorisant l'avènement du chaos. Le parti national (extrême droite), qui a fait alliance avec les démocrates-chrétiens, saisit d'ailleurs l'occasion de la grève des commerçants pour susciter, le 22 août à Santiago, des incidents entre des jeunes gens et la police, puis une manifestation de femmes frappant sur des ustensiles de cuisine en signe de protestation contre la hausse des prix.

Cependant, les troubles continuent en province. Ils tournent très vite à la tragédie. En quelques jours, quatre paysans au moins sont assassinés par des propriétaires fonciers. Le 30 août, un policier est tué à Concepcion au cours d'une échauffourée entre militants de gauche et de droite. Le chef de l'État condamne « l'incroyable insolence des fascistes » et se déclare « horrifié » par les bruits de guerre civile.

De nouvelles manifestations de jeunes gens hostiles au régime ont lieu le 1er septembre à Santiago. Les lycéens protestent contre la nomination d'une enseignante communiste à la tête d'un établissement de la ville. Mais leurs rangs sont renforcés par de jeunes habitants des bidonvilles, qui se vantent parfois d'être grassement payés pour manifester.

À l'occasion du deuxième anniversaire de sa victoire électorale, le président Allende proclame, le 5 septembre, devant 700 000 personnes : « Le fascisme ne nous divisera pas. Le peuple abattra les fous qui tentent d'opposer des Chiliens à d'autres Chiliens. »

Mais dès le lendemain, un affrontement entre les étudiants et les forces de l'ordre fait un mort et onze blessés. La police arrête près de 200 personnes qui, selon elle, ne sont « ni étudiants ni travailleurs ». Le 10 septembre, à la radio, S. Allende estime que le pays est menacé de guerre civile et invite la démocratie chrétienne à entamer des négociations afin d'éviter une effusion de sang.