C'est dans ce climat que, le 29 juin, un régiment de blindés cerne le palais présidentiel. Cette tentative de coup d'État est facilement repoussée, au bout de trois heures de combat, par les forces loyales dirigées par le général Prats, qui, quelques jours auparavant, avait échappé à un attentat. Autre élément de cet échec : l'intervention populaire. Dès le début de la matinée, des milliers de travailleurs descendent dans la rue pour soutenir le gouvernement. Salvador Allende sort renforcé de cette tentative de coup d'État, malgré le refus de l'opposition de voter les pleins pouvoirs qu'il réclame.

Douze mois plus tôt, les pourparlers entre l'Unité populaire et la Démocratie chrétienne aboutissaient à une rupture. Le Chili s'engageait alors dans une longue crise, qui le conduira, selon l'expression même du président Allende, « au bord de la guerre civile ».

Cela commence par des escarmouches parlementaires. L'opposition, qui détient la majorité des sièges au Congrès, reprend son harcèlement contre le gouvernement. Dès le 5 juillet, la Chambre des députés vote la suspension de Hernan del Canto, ministre de l'Intérieur, accusé de ne pas s'être opposé à des occupations d'usines privées par des éléments d'extrême gauche. Le lendemain, le Sénat rejette les vetos présidentiels sur le projet de réforme constitutionnelle.

Opposition

Durcissant sa position, l'Unité populaire, qui vient de remporter l'élection complémentaire de Coquimbo – considérée comme un test – dépose une motion de censure contre le président du Sénat, Ignacio Palma, à qui elle reproche d'avoir outrepassé ses droits en admettant que le veto du président Allende pouvait être repoussé à la majorité simple. La motion est immédiatement rejetée par l'opposition.

Pour tourner l'obstacle soulevé par la destitution – confirmée le 27 juillet par le Sénat – de H. del Canto, le président Allende confie à ce dernier le poste de ministre-secrétaire général, en remplacement de Jaime Suarez, qui devient ministre de l'Intérieur. Dépitée par cette simple permutation, l'opposition accuse le chef de l'État de s'être « moqué du pays » à plusieurs reprises et le gouvernement de se placer « au-dessus des lois et de la Constitution ».

De son côté, le MIR (Mouvement de la gauche révolutionnaire), qui accepte mal le respect de la légalité bourgeoise, réclame la dissolution immédiate du Congrès et son remplacement par une Assemblée populaire unique. Des militants du MIR créent, le 26 juillet à Concepcion, une telle assemblée, en collaboration avec des socialistes, des radicaux, des membres de la gauche chrétienne et du MAPU (Mouvement d'action pour l'unité populaire). Dans une lettre ouverte adressée à tous les dirigeants des partis de l'Unité populaire, le président Allende s'élève contre ce « mirage lyrique surgi du romantisme politique ».

Alliée difficile de l'Unité populaire, l'extrême gauche est à l'origine des premiers incidents graves. Elle a, en effet, commencé à s'organiser pour la lutte armée. Le 21 juillet, les autorités confirment même l'information publiée la veille par le quotidien La Secunda, selon laquelle plusieurs membres d'une organisation gauchiste, « qui voulaient renverser le gouvernement Allende », ont été appréhendés. À l'aube du 5 août, c'est le drame. Au lendemain de l'arrestation d'un dirigeant de l'ELN (Armée de libération nationale), la police perquisitionne dans un bidonville de la capitale pour essayer d'y trouver des armes. Mais les policiers, bientôt cernés par la foule hostile des habitants de ce camp contrôlé par le MIR, doivent, pour se dégager, tirer sur les pobladores. Un travailleur est tué sur le coup et 11 blessés par balles.

L'émotion est telle et la tension si vive que le président annonce le soir même son intention d'aller dialoguer directement avec les ouvriers, qui dressent des barricades et dont certains déclarent qu'ils ne croient plus « aux belles paroles d'un gouvernement qui frappe les siens ». Avec courage, le chef de l'État tient sa promesse le 7 août, réussissant à se faire applaudir à la fin de son discours.