Jusqu'au terme de la campagne, aucune clameur ne s'élève. Malgré le chômage, qui atteint 7,1 % le 6 octobre, soit le taux le plus élevé depuis 1961, malgré la hausse du coût de la vie, malgré l'entrée en scène du Parti québécois, qui dévoile plusieurs documents secrets pour forcer les partis fédéraux à se prononcer sur l'indépendance du Québec, l'électoral est figé dans l'attente du scrutin auquel, le 30 octobre, il participe presque par devoir.

Le Premier ministre P. E. Trudeau forme son cabinet ministériel le 27 novembre. Puis il convoque la Chambre des communes, pour la 29e législature, le 4 janvier 1973, après avoir mis au point une nouvelle stratégie économique et sociale en vue de reprendre le leadership moral et intellectuel du Canada, tout en mettant une sourdine aux politiques sur le bilinguisme.

Soutenus par les néo-démocrates, les libéraux affrontent sans anxiété l'opposition conservatrice, à qui l'on refuse, à l'ouverture de la session, une motion de non-confiance présentée pour renverser le gouvernement. Satisfaits du contenu du discours du Trône, qui met l'accent sur un ambitieux programme économique et social, les députés du NPD permettent au Parti libéral de survivre, le 6 janvier, à une seconde motion de blâme.

Tenaces toutefois, les conservateurs reviennent encore à la charge, par deux fois, sans obtenir la défaite du gouvernement. Ils soumettent l'une des motions sept jours après la présentation du budget, préparé par le ministre des Finances, John Turner, qui réduit de 5 % l'impôt des particuliers tout en renvoyant à plus tard les mesures controversées concernant les dégrèvements fiscaux accordés aux grandes entreprises et auxquels s'opposent farouchement les néo-démocrates.

Les tentatives infructueuses des conservateurs pour déloger les libéraux obligent R. Standfield à se résigner, dans l'attente de prochaines élections, en traitant les membres du gouvernement de « singes qui obéissent aux néo-démocrates au doigt et à l'œil ».

Viêt-nam

La position précaire du gouvernement libéral n'entrave nullement la politique internationale du Canada. Le ministre des Affaires extérieures, Mitchel Sharp, à la demande de Washington, engage le pays au Viêt-nam, dans le cadre de la Commission internationale de contrôle et de surveillance du cessez-le-feu (CICS). En janvier 1973, un groupe de militaires, dirigé par l'ambassadeur Michel Gauvin, quitte Montréal pour Saigon, où il rejoint les Indonésiens, les Polonais et les Hongrois.

L'expérience frustrante au sein de la première CICS, formée en 1954, contraint le ministre Sharp à préciser que les militaires canadiens, qui sont plus de 300, ne vont pas en Indochine pour y jouer un rôle de policier. Il pose également plusieurs exigences à la participation canadienne, dont deux qu'il juge importantes et qui ne sont pas satisfaites :
– le groupe d'observateurs devra dépendre d'une autorité politique ;
– il devra avoir accès partout, au Viêt-nam du Sud et dans la zone démilitarisée qui sépare le Nord du Sud.

Le 7 février, pour faciliter son travail à la CICS, le Canada reconnaît officiellement la République démocratique du Viêt-nam. Ottawa hésite, après quelques mois d'engagement, à poursuivre la tâche insurmontable de surveiller la paix dans un pays où l'on continue de se battre malgré le cessez-le-feu.

Le Canada songe sérieusement à se retirer de la CICS, le 7 avril, lorsqu'un soldat québécois, le capitaine C. E. Laviollette, meurt dans un accident d'hélicoptère provoqué par le Viêt-cong. Le 29 mai, la décision est prise : Ottawa décide le retrait de ses militaires.

Conférences

La politique canadienne est également imprégnée par la ronde des conférences provinciales et fédérales-provinciales, qui se terminent presque toutes dans une impasse constitutionnelle. Trois retiennent l'attention :
– le 3 août 1972, les Premiers ministres des dix provinces du Canada se réunissent à Halifax, capitale de la Nouvelle-Écosse, pour ouvrir plusieurs dossiers, dont celui des communications, en présence d'observateurs d'Ottawa. Deux jours de délibérations suffisent pour qu'ils signent un document rappelant au gouvernement fédéral le rôle prépondérant des provinces dans le domaine des communications et dans celui du développement social et culturel des citoyens. Ce front unanime des dix chefs des gouvernements provinciaux n'effraie aucunement le gouvernement fédéral, qui poursuit sa percée dans les secteurs de la télévision par câble et de l'éducation post-secondaire ;
– le 8 mai 1973, une nouvelle conférence, fédérale-provinciale, regroupe les ministres de la Santé, de l'Éducation et des Finances dans la capitale canadienne. Elle se termine le lendemain dans un cul-de-sac, le fédéral refusant de céder aux provinces plus d'argent pour qu'elles puissent administrer ses propres programmes de santé et d'éducation. Le gouvernement d'Ottawa leur offre de récupérer 6 points d'impôt qu'il détient, soit l'équivalent d'un milliard de dollars réparti sur dix ans, et le champ de taxation sur les alcools et les tabacs. Mais les provinces, surtout l'Ontario et le Québec, maintiennent leur position, exigeant 28 points d'impôt et le retrait du fédéral du secteur de la santé.
Ce rejet des propositions du gouvernement central par les ministres provinciaux envoie ainsi le dossier à une prochaine rencontre des Premiers ministres du Canada ;
– le 23 mai, le Premier ministre P. E. Trudeau reçoit à Ottawa les chefs des dix gouvernements provinciaux pour reprendre les discussions laissées quinze jours plus tôt. La réunion se termine, le 25, sur un désaccord.