En première lecture, les députés, avec l'assentiment du ministre, dénaturent la proposition Lelong, en votant un texte qui risque de bloquer l'expansion commerciale des coopératives. Au même moment, ils adoptent un texte assujettissant à la patente (où à une taxe équivalente) les coopératives qui en étaient exemptées jusqu'ici. Cette imposition sera progressive. M. Cointat avait lié cette imposition à l'adoption de la proposition Lelong. Les dirigeants professionnels crient à la trahison. À la session de printemps, le texte est révisé, après intervention du président de la République. Un statut plus libéral est voté. Les coopératives conservent un statut propre et ne sont plus contraintes d'opter entre le statut de société civile et le statut de société commerciale. Elles pourront notamment prendre des participations avec d'autres personnes morales, ce qui permet d'étendre le champ de leurs activités commerciales.

Le statut juridique n'est d'ailleurs pas une condition suffisante pour assurer l'expansion des coopératives : à preuve les difficultés financières qui assaillent le groupe coopératif Lafayette à la suite d'une malheureuse affaire d'exportation de beurre en Italie.

Accidents du travail

Le gouvernement revient à la charge devant le Parlement pour tenter de faire adopter un projet rendant obligatoire l'assurance des salariés agricoles contre les accidents du travail. Depuis des années, les 700 000 salariés agricoles attendent ce texte qui leur a été promis par les lois et les gouvernements antérieurs. Le prédécesseur de M. Cointat, J. Duhamel, avait dû retirer son texte devant la fronde des sociétés d'assurance. Ce n'est pas l'extension de l'obligation qui inquiète les compagnies d'assurances ou les Mutuelles 1900, mais la volonté du gouvernement de transformer en assurance société ce qui n'était jusqu'ici qu'une assurance tout court (comme une assurance auto ou une assurance bétail). Cette assurance société serait gérée dès lors par la seule Sécurité sociale paysanne, c'est-à-dire la Mutualité sociale agricole, à l'exclusion des compagnies et des mutuelles.

Les paysans s'étaient ralliés à cette solution — non sans difficultés — car ils sont gestionnaires des Mutuelles 1900. Le Conseil économique émet un vœu favorable à l'unicité de gestion. Les compagnies d'assurance font une vive campagne pour le pluralisme de la gestion. Mais le texte gouvernemental passe mal au Parlement. Les sénateurs s'inquiètent de l'indemnisation des Mutuelles 1900 ; les députés écartent la proposition du député Peyret d'intégrer le régime des salariés agricoles au régime général. Le texte est voté en première lecture. Le syndicat CFDT des salariés agricoles crie victoire, mais le Parlement se sépare sans que le texte soit définitivement voté.

En assujettissant les coopératives à la patente, le gouvernement cherche à intégrer davantage l'agriculture dans l'économie générale, à aligner progressivement ce type d'entreprises sur le statut fiscal des autres sociétés. Cette même démarche conduit le gouvernement à imposer un certain nombre de gros exploitants au bénéfice réel et non plus au forfait collectif. Cette réforme, inscrite dans la loi de finances 1972, soulève des objections (il s'agit des agriculteurs qui réalisent un chiffre d'affaires de plus de 500 000 F par an). Elle recueille toutefois l'approbation des organisations agricoles, qui se félicitent de cette innovation allant dans le sens à la fois de l'intégration et de l'équité fiscale (car, pour mieux recouvrir la réalité des revenus paysans, le fisc a tendance à relever le montant des forfaits collectifs, ce qui défavorise ceux qui sont au bas de l'échelle des revenus).

Ce nouveau régime soulève toutefois des difficultés d'application ; les agriculteurs consacrent une part très importante de leurs revenus au financement d'investissements non amortissables et nombre d'entre eux, les éleveurs notamment, ont un bénéfice brut faible en proportion de leur chiffre d'affaires. V. Giscard d'Estaing n'en décide pas moins de faire appliquer cette réforme dès 1973.