Au bout d'une vingtaine d'années d'existence, l'industrie européenne des fibres synthétiques se civilise, en quelque sorte, en admettant les principes de la cartellisation, pratiquée depuis bien longtemps dans d'autres domaines plus traditionnels (colorants notamment). Rhône-Poulenc, Akzo, Hœchst et Bayer se sont ainsi mis d'accord pour faire face à la crise, et attendent le feu vert de la commission du Marché commun pour concrétiser leur entente. Au même moment, en Italie, le géant Montedison prenait le contrôle de la SNIA Viscosa et s'assurait 80 % de la production de textiles chimiques italiens, position semblable à Rhône-Poulenc en France.

Cette concertation dans cette industrie arrive à point, à un moment où, de part et d'autre de la Manche, on note le même son de cloche.

Au cours de l'exposition de matières plastiques de Düsseldorf, en septembre 1971, un des dirigeants de la firme Bayer faisait remarquer : « Aujourd'hui, nous avons atteint, dans la fabrication, des ordres de grandeur desquels il est pratiquement impossible d'obtenir des effets de rationalisation plus poussés. Cela signifie qu'à l'avenir nous devrons abandonner l'idée que les matières plastiques deviennent de plus en plus bon marché. » Et l'un des responsables d'ICI de lui faire écho : « Il existe une taille au-dessus de laquelle l'installation d'une nouvelle unité de production n'est pas rentable. Grâce à une planification appropriée, il sera possible d'ordonner l'entrée en production des nouvelles usines, de manière à éviter les alternances de pénurie et de surabondance. »

Conscients d'avoir été les premières victimes de la guerre qu'ils se sont livrée, conscients également du fait qu'il faudra de plus en plus compter avec de nouveaux concurrents (Espagne, Japon, pays de l'Est), les grands de la chimie s'assagissent, ce qui laisse prévoir une décennie moins spectaculaire, mais sûrement moins heurtée que celle des années 60.

Textiles

Le paradoxe de la restructuration

La production de l'industrie textile, avec une croissance de + 10 % en 1971, a retrouvé l'euphorie des années fastes (+ 9 % en 1963, + 14 % en 1966, + 12 % en 1969) et oublié le passage à vide de 1970.

Bien plus, le commerce extérieur — qui avait tendance à se dégrader sous l'effet de la perte des débouchés coloniaux et sous la pression d'importations venues des quatre coins du globe — s'est très bien tenu, et l'année se termine avec un excédent de près de 3 milliards de francs (pour 8,3 milliards d'exportations).

Dans une industrie aussi dispersée, aussi complexe du fait des multiples étapes de la fabrication, le bonheur des uns peut faire le malheur des autres. En effet, un certain nombre de fibres traditionnelles (lin, jute) sont désormais remplacées par des équivalents synthétiques, d'où une baisse de 13,5 % de la filature et de 13 % du tissage du jute en un an. Par ailleurs les confectionneurs, très dynamiques en ce moment, font de plus en plus appel aux marchés lointains (pays de l'Est, Formose, Corée du Sud) pour l'achat à bon prix de leurs tissus, écrus notamment.

Résultat : les importations de tissus de coton représentent désormais le quart de la production, laquelle a donc stagné tout au long de l'année 1971 (... à son niveau de 1967 !). Les grands magasins, enfin, vont chercher leurs chemises au Maroc et en Inde, leurs shetlands et leurs pyjamas à Macao, leurs sous-vêtements au Portugal, réalisant ainsi des superbénéfices (une chemise coréenne peut revenir à 6 francs après le passage de la douane, alors que le bonnetier français ne peut pas la fabriquer à moins de 13 francs) et réduisant du même coup leurs achats auprès de leurs fournisseurs français.

Une des principales conséquences de cette évolution des politiques d'achats a été la pénalisation des grands groupes (Agache-Willot, DMC notamment), disposant désormais d'un secteur filature et tissage gigantesque et disproportionné par rapport à leurs possibilités propres de transformation (confection, bonneterie). Or, leurs unités n'ont ni la souplesse de réaction aux évolutions de la mode ni les avantages de prix des unités de production de certains pays. Elles perdent donc les avantages des économies d'échelle réalisées. Paradoxe de la restructuration entreprise depuis cinq ans.

L'entrée des Britanniques

Cette restructuration s'est d'ailleurs nettement ralentie en 1971 et au début de 1972 ; les ogres se sont contentés de digérer leurs proies. D'ailleurs, la période était peu propice aux grandes manœuvres. Lorsque l'activité est soutenue, les absorbés se maintiennent à flot, du fait d'une bonne trésorerie. Et les absorbeurs, endettés par le processus de rationalisation et de modernisation, n'ont pas suffisamment d'argent disponible.