Conduits à s'interroger sur les méthodes et le contenu de leur enseignement, ils en éprouvent à la fois un sentiment de profonde insatisfaction et une impression de grande impuissance, se jugeant insuffisamment armés pour inventer et imposer une pédagogie nouvelle.

De là, chez beaucoup, un trouble et un désarroi qui peuvent expliquer que certains souhaitent un retour à la discipline traditionnelle ou que la question, secondaire en apparence, des vacances scolaires — ultime privilège du corps professoral — joue ce rôle de détonateur et soit le signe d'une crise profonde de l'enseignement.

Le suicide de plusieurs enseignants est l'occasion pour certains de souligner la gravité de la situation.

Les vrais problèmes

Cet aspect du malaise des professeurs, autant d'ordre psychologique que d'ordre politique ou économique, pose, selon le gouvernement, « les vrais problèmes » de notre système d'éducation. Le Premier ministre, puis le ministre de l'Éducation nationale, dans des lettres adressées aux syndicats, invitent ceux-ci à dépasser leurs revendications traditionnelles et à prendre conscience des besoins non plus quantitatifs, mais qualitatifs de l'enseignement secondaire. Le 14 octobre, O. Guichard annonce la création d'une commission des sages chargée d'étudier « les causes du malaise que l'on peut discerner dans le corps enseignant » et de définir « la fonction enseignante » pour permettre aux élèves d'avoir en face d'eux « des maîtres en mesure de répondre à leurs besoins objectifs et subjectifs ». La présidence de cette commission est confiée à Louis Joxe, ancien ministre de l'Éducation nationale.

Les syndicats dénoncent aussitôt cette initiative comme une manœuvre de diversion. Ils font valoir que la distinction établie par le ministre entre le quantitatif et le qualitatif est artificielle. Le SNES (Syndicat national de l'enseignement secondaire) s'en prend notamment à ceux qui « transfèrent sur le système scolaire lui-même les responsabilités de l'échec d'une politique scolaire » et souhaite « une politique quantitative de l'amélioration qualitative de l'enseignement » : les enseignants refusent donc d'inverser l'ordre des problèmes et insistent en premier lieu sur l'insuffisance des moyens de l'Éducation nationale.

Au-delà de cette polémique sur le choix des priorités, personne ne nie que la fonction de l'enseignant dans la société moderne ne soit à redéfinir et que les incertitudes du corps professoral ne soient un aspect important de la crise du système. La relative démocratisation de l'enseignement secondaire, qui amène dans les classes des enfants moins préparés à recevoir la culture traditionnelle, la maturation psychologique plus précoce des élèves, les changements dans les rapports entre enfants et adultes, l'influence — difficile à mesurer — de la télévision, le développement de l'éducation permanente, qui met fin au privilège de l'école, tous ces éléments assignent désormais à l'éducateur un rôle différent : le professeur du second degré n'a pas encore trouvé sa place dans ce nouveau système qui s'élabore et qui tend à le remettre en question.

Les syndicats devant le rôle de l'école

Les difficultés des enseignants sont au centre des Congrès universitaires. Le plus important des syndicats, la FEN (Fédération de l'éducation nationale), réunit son congrès le 30 novembre 1971 à Paris. Des représentants du courant Unité et action (proches du PC) reprochent aux dirigeants du syndicat de n'avoir pas combattu avec assez de vigueur le budget présenté par le gouvernement et de ne s'être pas associé à la grève déclenchée en septembre 1971 dans le second degré. Marangé, leader de la tendance autonome (proche du PS), soutient que, même si des crédits supplémentaires étaient accordés, « les véritables problèmes ne seraient pas pour autant en voie de solution ». En marge de ces deux tendances, les gauchistes de l'École émancipée et de Rénovation syndicale dénoncent les orientations réformistes de l'organisation et insistent sur la crise de la fonction d'enseignant.