Conflits

Inde-Pakistan : la guerre des pauvres

Le bruit des armes n'a guère cessé dans l'ancien empire britannique des Indes depuis la partition en deux États (l'Inde et le Pakistan), le 15 août 1947. Le sous-développement ne vaccine pas contre la violence. Aux horreurs d'un raz de marée se succèdent au Bengale Oriental, en mars 1971, la guerre civile avec ses tueries, le choléra, la famine et l'exode massif d'habitants vers un Bengale Occidental où le gouvernement indien est plus que contesté (Journal de l'année 1970-71). Et, une fois encore, pris dans l'engrenage, l'Inde et le Pakistan massent leurs troupes aux frontières. L'objet n'est plus le contrôle d'une province convoitée mais l'éclatement du Pakistan. Quatorze jours de guerre, du 3 au 17 décembre, suffisent ; le Bengale Oriental devient un nouvel État : le Bangla Desh.

En fait, depuis plusieurs mois, les forces pakistanaises au Bengale Oriental font l'objet d'attaques des partisans bengalis et de leurs conseillers indiens. L'engagement militaire non déclaré de l'Inde est lui-même une réponse à la guerre économique menée par le Pakistan, qui lui impose l'entretien des réfugiés du Bengale Oriental — 9 à 10 millions, selon plusieurs organisations internationales, en novembre 1971.

Les réfugiés

Pour faire face à ce colossal problème, l'Inde reçoit de la communauté internationale à peine 1 milliard de francs. Elle doit pourvoir au reste : 3,5 milliards, prévus jusqu'en mars 1972. Les politiques examinent un autre danger : celui de la contamination révolutionnaire. Les réfugiés bengalis sont les recrues idéales pour les maoïstes du Bengale Occidental et de l'Inde en général.

À l'approche des élections législatives de mars 1972, la prolongation d'une telle situation est grave. New Delhi agit sur quatre plans : elle en appelle à Islamabad pour une solution politique au Bengale Oriental ; elle explique aux pays étrangers les conséquences de l'absence de règlement sur l'économie indienne ; elle recherche des alliances et elle se prépare à un recours aux armes.

Raison d'état

Subramanyam, directeur de l'Institut des études de la défense nationale, fait établir un rapport qui servira de base au gouvernement et à l'état-major indiens : « L'éclatement du Pakistan est dans notre intérêt et nous avons au Bengale Oriental l'occasion du siècle. L'Inde n'a pas d'autre solution que de faire la guerre » et d'en prendre l'initiative, poursuit-il, en aidant les partisans à libérer une partie du Bangla Desh pour y installer les réfugiés et un gouvernement dont les autres États reconnaîtraient l'existence.

L'attitude des alliés du Pakistan retient New Delhi d'agir. L'Iran et la Turquie, membres du CENTO, sont une menace lointaine, comme les États-Unis, occupés au Viêt-nam, mais la Chine inquiète. Pour éviter son intervention comme en 1965, le rapport Subramanyam préconise d'attendre que la neige ferme les cols himalayens aux 100 000 soldats massés au Tibet, autrement dit attendre la fin de la mousson.

Diplomatie

Le conflit se noue en juillet-août 1971 pendant la mousson. H. Kissinger, l'éminence grise du président Nixon, rencontre Indira Gandhi, puis le général Yahya khan. Les États-Unis hésitent à stopper leurs livraisons d'armes au Pakistan, alors que la France et la Grande-Bretagne gèlent leurs envois. H. Kissinger est l'homme chargé de préparer la visite du président Nixon en Chine. Les Pakistanais ont facilité ses contacts ; les Américains s'en montrent bientôt reconnaissants. Le 10 septembre 1971, le Congrès rétablit l'aide économique de 590 millions de francs que le Sénat avait annulée le 4 août.

La réponse indienne ne tarde pas. Un mois, jour pour jour, après l'arrivée à Pékin de Kissinger, l'Inde et l'URSS signent, le 9 août 1971, à Delhi un traité d'amitié et de coopération de vingt ans. L'Inde affirme qu'il ne s'agit pas d'un traité militaire. Pourtant 5 000 tonnes de matériel de guerre soviétique arrivent en novembre.

Ce même 9 août, le gouvernement pakistanais annonce que le cheikh Mujibur Rahman sera prochainement jugé. Des négociations secrètes, menées en Afghanistan entre représentants d'Islamabad et séparatistes bengalis, viennent d'échouer en raison de l'intransigeance du colonel Osmani, le chef des Mukti Bahinis (combattants de la Libération).