L'année 1971 a mal commencé : les chiffres de la balance des paiements pour 1970 révèlent un très grave déficit de 1,2 milliard de dollars ; une inflation inquiétante se fait jour et le gouvernement de M. Ribicic parle de mesures d'austérité. On bloque les prix pour trois mois, on impose aux banques de cesser leurs investissements et, en janvier 1971, on dévalue le dinar de 20 %. Mais les mécanismes du système sont tels que le pouvoir fédéral, pourtant critiqué en Croatie ou en Slovénie pour ses abus, n'arrive pas à faire appliquer ses décisions.

Alors que le président des syndicats, Dusan Petrovitchsane, a dénoncé l'inflation comme la responsable de la baisse du niveau de vie de la moitié des travailleurs, les entreprises autogérées continuent à accorder des augmentations de salaire et les banques (également autogérées) ne résistent pas à la tentation d'accorder un peu trop facilement des crédits.

Parallèlement à ces faiblesses économiques, la Ligue des communistes yougoslaves, qui ne dirige plus, mais oriente la politique du pays, révèle un côté hétérogène qui inquiète le maréchal Tito. Selon les déclarations d'un des dirigeants serbes, Todorovitch, elle est devenue « l'avocat des intérêts particuliers ». Alors que le principe est l'unité, il apparaît souvent qu'il y a autant de ligues que de républiques, chacune se renvoyant des accusations de chauvinisme ou (cela vise les Serbes) de centralisme.

L'activité à l'étranger des terroristes croates opposés au régime du maréchal Tito a eu des répercussions inattendues en Yougoslavie même. Les attentats commis par les oustachis en Suède (occupation du consulat de Yougoslavie à Göteborg, en février 1971 ; assassinat de l'ambassadeur yougoslave, le 7 avril) sont venus d'une manière détournée exacerber un conflit latent entre la république de Croatie et le pouvoir central. Le 9 avril 1971, le Comité central du PC croate a accusé dans un communiqué certains organismes fédéraux de favoriser une campagne calomnieuse visant à démontrer qu'il existait des liens entre la Croatie et les terroristes. En fait, ce sont les organes de sécurité qui étaient mis en cause dans cette affaire. Devant l'indignation soulevée en Croatie par ces rumeurs, le gouvernement a aussitôt nommé une commission d'enquête, qui a tenté de désamorcer l'affaire, lavant la police de tout soupçon et reconnaissant que les allégations anti-croates étaient sans fondement.

Purification

Sentant la fragilité des rouages qu'il a mis en place, le maréchal Tito tente, avec son système de présidence collégiale (qui ne sera pas appliqué de son vivant), d'empêcher une désagrégation de la fédération. Il a besoin pour cela d'un parti fort et uni : il s'emploie à remettre de l'ordre dans la Ligue. Silencieux pendant longtemps, il s'engage, au printemps 1971, dans une vaste opération de purification, attaquant à droite, dénonçant à gauche, mais sans jamais prendre les mesures administratives dont il menace le pays.

Le 16 avril, Tito appelle la Ligue à purger ses rangs. Quelques jours plus tard, alors qu'il a réuni dans l'île de Brioni le Plénum élargi du parti, il critique la presse qui « calomnie les dirigeants élus », dénonce les professeurs des universités qui s'opposent à la politique du gouvernement, attaque les ennemis intérieurs et extérieurs qui veulent détruire la Yougoslavie.

Pourtant, aucun limogeage, aucune purge spectaculaire ne suit ses propos, comme si le leader yougoslave pensait par la seule magie de son verbe pouvoir freiner sans punir. Pendant toute cette période agitée, il n'y aura qu'une seule mesure administrative : le procès de Vlado Mijanovitch, président de l'Association des étudiants en philosophie, condamné, le 20 octobre 1970, à vingt mois de prison pour « propagande hostile » ; en fait, pour avoir dénoncé avec des accents gauchistes la nouvelle bourgeoisie rouge.

Il semble que cet ouvriérisme qui se manifeste dans les facultés n'a pas laissé Tito indifférent. On a vu le chef du Parti s'adresser au 2e Congrès de l'autogestion (5-8 mai 1971) pour en appeler (ultime recours) à la classe ouvrière, afin qu'elle nettoie une Ligue communiste qui a perdu de sa vitalité.

Voyages

Les tensions internes ont eu un certain impact sur la politique étrangère. Les autorités de Belgrade ont eu à cœur de montrer qu'elles ne toléreraient aucune immixtion dans leurs affaires intérieures (ce qui concernait avant tout l'Union soviétique, qu'on a accusée à mots couverts de manœuvrer ou de soutenir les centralistes, partisans d'un système plus fort et plus rigide).