Sorti numériquement plus fort des élections régionales du 7 juin 1970, le bloc de centre gauche avait vu s'élargir ses divisions politiques internes, non seulement entre les quatre partis qui le composent (démocratie chrétienne, sociaux-démocrates, républicains et socialistes), mais aussi au sein de chacun d'eux et en particulier des démocrates-chrétiens, masse centrale nécessaire de tout gouvernement.

Pas plus qu'à la fin de juin 1970 les protagonistes ne parvenaient à déterminer l'orientation de principe de leur action : le centre gauche avait-il pour raison d'être la gestion du système néocapitaliste, la correction graduelle de ses défauts les plus évidents grâce à des réformes à la petite semaine ? Etait-ce, au contraire, l'instrument d'une transformation progressive, mais radicale, du néocapitalisme ?

Deux termes servaient de repères sur l'horizon politique et déterminaient tous les calculs au-delà des préoccupations de tactique immédiate : l'élection du nouveau président de la République, le 28 décembre 1971, à l'échéance du mandat de Giuseppe Saragat, puis les élections législatives du printemps 1973. Mais le changement de chef de l'État et le retour dans deux ans aux électeurs allégeraient-ils véritablement la « difficulté de gouverner » (au sens où Fontenelle mourant parlait de sa « difficulté d'être »), qui semblait un mal endémique ?

À dresser le bilan de 1970-71, on s'aperçoit cependant que des transformations profondes ont été amorcées en un sens infiniment plus positif que ne l'affirment les différents acteurs.

Emilio Colombo

Le 6 juillet 1970, Mariano Rumor impose à ses alliés la démission de son gouvernement, au nom d'une « clarification » nécessaire. L'événement, tout à fait inattendu, manquait de justification parlementaire : le cabinet n'avait pas été mis en minorité. S'agissait-il, comme l'affirmaient les socialistes, de provoquer « un tournant politique », en orientant le centre gauche sur une ligne modérée ? Le ministre du Trésor, Emilio Colombo, ne cacha pas son hostilité à cette démission.

Après un tour de piste de Giulio Andreotti, pressenti pour la première fois depuis vingt-trois ans qu'il appartient à l'équipe de tête de la démocratie chrétienne, c'est à Emilio Colombo qu'incombe le soin de former le nouveau gouvernement. Il présente son cabinet à la Chambre le 10 août, et obtient la confiance des députés par 348 voix contre 231, sur un programme qui donne la priorité aux problèmes économiques : refus de la dévaluation, lutte contre l'inflation, appel à la reprise de la production. Le 27 août, un décret-loi de très vaste envergure détermine les moyens de relance de l'économie par l'accroissement des investissements publics, une tentative de rééquilibre des dépenses publiques, l'encouragement de la production et des investissements privés par des mesures fiscales et de crédit.

Le premier titre du décret comporte différentes augmentations de taxes et d'impôts ; le deuxième concerne la gestion des mutuelles sociales, proches de la banqueroute, et la réforme de la santé publique. Le troisième attribue des crédits aux petites et moyennes entreprises.

La nouveauté de ce texte tient dans la simultanéité des mesures purement conjoncturelles et de l'amorce d'une politique de réformes à long terme : santé publique et logement. Le président du Conseil sollicite la coopération des centrales syndicales pour leur mise au point, et reconnaît ainsi le rôle de partenaires de plein droit du « pouvoir politique » qu'elles revendiquent depuis le printemps 1969, sans jamais encore avoir été entendues.

Mais le décret-loi, pour conserver sa validité, doit être approuvé par les Chambres dans un délai de deux mois. La lenteur de la procédure parlementaire, la multiplication des amendements, l'obstruction des opposants de gauche (dont se dissocie le parti communiste) font échoir ce délai sans ratification. Un nouveau décret est présenté, qui incorpore les amendements présentés par la majorité.

Il est voté en décembre 1970, au terme d'une longue épreuve où le gouvernement, en dépit des divergences de sa majorité, demeure cohérent et stable, grâce à la patience et à la froide résolution de E. Colombo, qui s'était fait depuis des années une réputation de bon technicien des problèmes financiers et économiques, de spécialiste des négociations européennes. Il s'impose comme un président du Conseil parfaitement maître de ses nerfs, à la fois cordial et froid, et résolu à ne pas se laisser déborder par les polémiques internes de la coalition.