Quelques jours plus tard, lors d'un championnat de pelote à Saint-Sébastien, un nationaliste basque s'immole par le feu aux pieds du général Franco en criant : « Vive le Pays basque libre. »

Les choses surviennent au moment où les Espagnols commençaient à faire les comptes d'une saison touristique particulièrement fructueuse (810 milliards de dollars pour les huit premiers mois de l'année). Ces nouvelles alourdissent brusquement le climat. Depuis plus d'un an, le jugement du conseil de guerre avait été repoussé à plusieurs reprises par crainte de réactions à un verdict trop rigoureux.

Les basques

De quoi s'agit-il ? Les 16 prévenus, soupçonnés d'être affiliés au mouvement autonomiste basque ETA (Patrie basque et Liberté), sont accusés d'avoir participé de près ou de loin à l'assassinat du commissaire Meliton Manzanas, chef de la brigade politico-sociale de Guipuzcoa, le 2 août 1968.

Le gouvernement espagnol entend mettre l'accent sur le côté délictueux de l'affaire et démontrer par là le caractère terroriste de l'ETA. Les Basques, eux, veulent utiliser le procès pour exposer le cas basque devant l'opinion publique et dénoncer la persécution acharnée dont est victime le Pays basque de la part du franquisme. Quant aux antifranquistes, ils comptent bien profiter du procès de Burgos pour mettre le régime en accusation.

Plusieurs mois avant l'ouverture du procès, cette triple interprétation va donner lieu à une campagne de propagande dont la résonance ne va cesser de s'amplifier et qui sera relayée, au moment du verdict, par un débat sur le régime espagnol et son avenir.

La crise va réellement commencer le 25 septembre 1970 lorsqu'on apprend que le procureur réclamera six peines de mort et que, en raison de la présence de deux prêtres parmi les inculpés, le gouvernement invoquera sans doute une disposition du Concordat pour ordonner le huis clos.

Ces révélations vont tout de suite provoquer une série de réactions. Il n'est guère étonnant que la première protestation étrangère vienne de France, pays limitrophe et où réside le gouvernement basque en exil : un Comité basque contre la répression est formé aussitôt à Paris. D'autres seront constitués peu à peu dans tous les pays d'Europe et dans le monde entier.

Protestations

Cependant, c'est bien évidemment en Espagne que l'annonce du procès provoque le plus de remous. Les étudiants, toujours prompts à saisir un motif d'agitation, vont donner le départ des protestations. De l'occupation d'églises aux heurts dans les facultés, les manifestations estudiantines (à Madrid, Bilbao, Saragosse, Oviedo, Santander) vont devenir de plus en plus violentes à mesure que se rapproche la date du procès, pour atteindre leur paroxysme le 30 novembre 1970 à Barcelone, où se déroulent de véritables scènes d'émeute.

Les travailleurs donnent à leurs manifestations un sens plus large en suivant, le 3 novembre, le mot d'ordre de grève générale pour l'amnistie des prisonniers politiques, lancé par les commissions ouvrières. C'est la première fois que les syndicats clandestins donnent une telle consigne sur le plan national. À Madrid seulement, 30 000 ouvriers observeront le débrayage. À la veille du procès, de nouvelles grèves éclatent, surtout en Pays basque et en Catalogne.

À leur tour, intellectuels, artistes, membres des professions libérales (occupation du Palais de Justice de Madrid le 1er décembre) font entendre leur voix. C'est toutefois l'intervention du clergé qui, par son caractère insolite, va soulever le plus d'émotion. Si le progressisme n'est pas une nouveauté dans le jeune clergé (deux prêtres sont parmi les accusés de Burgos), la hiérarchie de l'Église s'était tenue jusqu'à présent à l'écart des grands débats politiques. Or, le 22 novembre, les évêques du Pays basque révèlent dans une lettre pastorale qu'ils sont intervenus auprès du gouvernement pour que le procès soit public et pour qu'aucune peine de mort ne soit prononcée.

Église contre état

Ces prises de position déchaînent les milieux de droite et valent à leurs auteurs une sévère remontrance du ministre de la Justice. Mais la conférence de l'épiscopat espagnol, qui s'ouvre le 29 novembre à Madrid, inflige un camouflet au ministre en exprimant, dans une note au gouvernement, « son entière compréhension et sa profonde confiance » aux évêques basques, et en réclamant « la plus grande clémence » à l'égard des accusés de Burgos.