En Europe et dans le Marché commun, le hiatus se creuse entre une société industrielle qui marche à grands pas et une agriculture disparate qu'il est nécessaire de soutenir financièrement pour exporter ses excédents et pour réaliser des mutations sans cesse remises en cause par le progrès des techniques et les changements de dimensions des marchés, voire par la concentration des industries transformatrices de produits agricoles ou celle de la distribution alimentaire.

Les coûteux excédents

Quelques chiffres cités par le mémorandum de la Commission du Marché commun permettent d'esquisser à grands traits la situation :
– la production agricole des six pays de la CEE progresse en moyenne de 3,3 % par an ;
– la productivité par personne employée dans l'agriculture progresse de 7 % par an, ce qui est supérieur à l'accroissement de la productivité industrielle ;
– la consommation des produits agricoles, en revanche, progresse plus lentement. Son taux annuel d'augmentation était de 3,6 % entre 1960 et 1965 ; actuellement, il n'est plus que de 2,7 % ;
– la marée montante des excédents (produits laitiers et céréales en particulier) nécessite des concours financiers accrus, dont l'importance inquiète les pays — et surtout l'Allemagne fédérale — qui participent de la façon la plus notable au financement du FEOGA (Fonds européen d'orientation et de garantie agricole), c'est-à-dire de la tirelire communautaire créée pour soutenir et orienter l'agriculture.

Entre 1960 et 1967, les dépenses consenties en faveur de l'agriculture ont plus que doublé dans le Marché commun. Actuellement, elles sont de l'ordre de 25 milliards de francs, dont près de la moitié pour le seul soutien des marchés, c'est-à-dire pour faciliter l'exportation à perte des excédents sur le marché mondial.

Trois millions de vaches laitières en trop

Aux yeux de S. Mansholt, c'est dans le secteur des produits laitiers que la réforme de la politique agricole doit être entreprise en priorité. Le Marché commun, et la France en particulier, croulent sous le poids des excédents de beurre. S. Mansholt propose notamment que 3 millions de vaches laitières soient abattues d'ici à 1976 ; le troupeau du Marché commun est de l'ordre de 21 millions de têtes. Les experts de Bruxelles suggéraient également que l'on diminue massivement le prix du beurre, la perte étant compensée par une majoration de la poudre de lait.

Selon les prévisions si aucune « mesure spéciale » n'était prise, les stocks de beurre des pays de la CEE atteindraient :

1968-69 : 300 000 t


1969-70 : 510 000 t


1970-71 : 790 000 t


1971-72 : 1 120 000 t


1972-73 : 1 500 000 t


1973-74 : 1 930 000 t

Réformer les structures

La politique agricole de ces dernières années a été axée essentiellement sur les prix. C'est en fixant des prix communs pour les principales denrées agricoles que les Six ont essayé de créer un marché sans frontières où les produits de la terre pouvaient circuler librement comme les produits industriels. Cette politique se révèle insuffisante ; il faut la compléter, estime S. Mansholt, par une véritable révolution des structures de production.

Les exploitations agricoles européennes sont trop petites, trop morcelées, et s'agrandissent beaucoup trop lentement.

Les sommes dépensées en faveur de l'agriculture n'ont que très peu contribué à améliorer les structures. En France, où la situation est la moins mauvaise, les exploitations agricoles grandissent d'un hectare en deux ans et demi, mais en Allemagne un accroissement semblable exige dix ans.

Actuellement, explique Mansholt, 3 % seulement des exploitations agricoles européennes ont plus de 50 ha. Les deux tiers des exploitations européennes ont moins de 10 ha et le cinquième d'entre elles disposent de moins de 20 ha.

Peut-on parler de rentabilité à ce stade ? Certes, non : selon le mémorandum de la Commission, 75 % des exploitations sont si petites qu'elles ne permettent pas d'occuper rationnellement un agriculteur.

En outre, 80 % des exploitations ont moins de 10 vaches et les deux tiers d'entre elles moins de 5. Cela, à une époque où les méthodes modernes permettent à une seule personne de soigner 40 à 60 animaux.