Tout ce qu'on sait, c'est que ses coups de feu n'ont pas atteint la voiture où se trouvaient L. Brejnev et Nicolaï Podgorny, mais le véhicule des vétérans de l'espace — Beregovoï, Terechkova et Nicolaiev —, dont le chauffeur est mortellement blessé. Il faudra attendre quarante-huit heures avant que l'agence Tass se décide à parler de l'attentat, qualifié de « provocation », puis le silence officiel tombe sur cette affaire. Seules quelques fuites permettront d'apprendre l'identité du tireur, le lieutenant Ilyn.

Six mois après l'attentat, il ne sera toujours pas question d'un procès public. Et il semble que les autorités soviétiques s'efforcent d'accréditer la thèse d'un acte de déséquilibré, ce qui permettrait d'interner l'officier dans un asile psychiatrique, sans avoir à s'appesantir sur les motifs réels de l'attentat.

Ressouder, au besoin par la force, un bloc oriental en train de craquer, isoler une Chine dont l'opposition au « révisionnisme soviétique » a atteint le point de non-retour, tout en évitant la rupture avec les PC occidentaux, telle a été la tâche difficile des dirigeants de l'URSS, qui ont vu toute leur politique étrangère dominée par les problèmes du communisme.

Compte tenu de la gravité des décisions prises, ils peuvent s'estimer relativement satisfaits, car ils sont parvenus à colmater les brèches les plus inquiétantes, sans éliminer pour autant les fissures.

Série noire

L'armée soviétique compte environ une vingtaine de maréchaux et quelque 3 000 généraux. Au regard de ce chiffre impressionnant, les nombreux décès qui viennent frapper ses officiers supérieurs n'ont rien d'étonnant. Mais la série noire qui, du 10 avril au 21 mai 1969, a entraîné la mort de 18 généraux sort de l'ordinaire. Les termes sibyllins des nécrologies presque quotidiennes de l'Étoile rouge, parlant de décès « tragiques » (généralement un accident), de « maladie soudaine » (crise cardiaque ?) ou « pénible » (cancer ?), n'ont pas suffi à lever le doute. Les indications sur une tension entre certains cadres militaires et le parti l'ont, au contraire, alimenté.

Une justification tardive

Le choc créé par l'invasion de la Tchécoslovaquie, le 21 août 1968, a été toutefois trop fort pour ne pas laisser de traces. C'est sans doute afin d'éviter qu'elles ne soient irrémédiables que le présidium du parti — divisé, par ailleurs, sur la tactique à suivre — a préféré temporiser au lendemain de l'occupation militaire.

Prisonniers à Moscou, promis, semble-t-il, à un procès, Dubcek et les autres leaders libéraux tchécoslovaques ont pu ainsi regagner Prague. Ils avaient au préalable dû signer des accords sur la normalisation ; leur application entraînait à long terme l'abandon du libéralisme. Il aura fallu pourtant huit mois d'attente, ponctuée par d'incessantes pressions, pour que Brejnev puisse enfin justifier politiquement, le 17 avril 1969, jour de la chute de Dubcek, le coût de l'intervention.

Le télégramme qu'il envoyait alors à Gustav Husak, le qualifiant de « valeureux combattant de la cause du socialisme », disait bien son soulagement. De fait, même s'il ne s'agissait là que d'un succès relatif, il apparaissait comme une victoire au regard de la solution désastreuse qu'aurait été la création, le 22 août, d'un gouvernement d'occupation.

Les rapports avec les deux autres pays de l'Est hérétiques, la Yougoslavie et la Roumanie, ont suivi une évolution parallèle. En septembre et en octobre 1968, l'URSS juge nécessaire d'effectuer quelques mouvements de troupes sur leurs frontières. Simple menace ou prélude à une invasion ? Le fait est que Tito, ayant mobilisé son pays pour une « guerre populaire », donne des consignes à sa presse, qui modère le ton, sinon le contenu, de ses critiques contre l'occupation de la Tchécoslovaquie.

Avec la Roumanie, membre du Pacte de Varsovie, et donc plus vulnérable, les choses vont plus loin. Alors que Ceausescu attaque la thèse soviétique de la souveraineté limitée qui le vise directement, l'URSS multiplie les efforts pour obtenir un « oui » des Roumains à des manœuvres sur leur territoire.