D'autres arrestations et procès suivront ceux-ci, intentés par le ministère de l'Intérieur, qui, le 28 novembre 1968, a repris son appellation stalinienne de MVD, abandonnant son étiquette plus rassurante de « Ministère pour la protection de l'ordre public ». À Leningrad, 2 avocats et 3 ingénieurs sont condamnés, en décembre, pour « propagande antisoviétique » : ils avaient écrit une lettre à Dubcek. À Moscou, Irina Belgoronsvaya (arrêtée en mars 1969, elle diffusait des tracts en faveur de Larissa Daniel) refusera de répondre aux questions du juge : un an de prison. Un mathématicien et un responsable de kolkhoze iront la rejoindre derrière les barreaux. Le général en retraite Grigorenko, un habitué des tribunaux où il prend à partie les décisions des juges, sera arrêté en mai. Dernière tribune officielle des libéraux soviétiques, la revue Novy Mir, critiquée par la Pravda le 7 mars, est à son tour menacée. On parle du remplacement de son rédacteur en chef, l'écrivain Alexandre Tvardovski. Le 6 juin, des Tatars manifestent à Moscou contre le sort fait à leurs compatriotes.

Opposé à l'intervention

L'unanimité ne paraît pas régner au Kremlin quant aux modalités d'application de cette politique. Kossyguine, dont on dit qu'il s'est, lors de la réunion du comité central le 20 août, opposé, avec Souslov, l'idéologue du parti, à la décision d'intervenir en Tchécoslovaquie, apparaît comme le représentant de la tendance modérée.

Sa longue et étrange absence de la scène politique — du 20 décembre 1968 (entretien avec Roger Seydoux, l'ambassadeur de France) au 6 février 1969 (accueil de Janos Kadar en visite à Moscou) — alimente les spéculations. L. Brejnev, dont le nom est de plus en plus lié aux indications sur l'existence d'un groupe de pression militaire, fait, lui, figure de dirigeant de la faction dure.

Il est, en fait, fortement question du rôle de l'armée dans la politique soviétique. Plusieurs éléments concourent à indiquer qu'il y a là un problème. Ce sont des militaires — ou leur organe l'Étoile rouge — qui, au mois de février 1969, se chargent de « rétablir la vérité » sur Staline ; on rappelle (comme le fait le général Chtemenko, chef d'état-major des forces du Pacte de Varsovie) que Staline a été « un chef éminent pendant la Seconde Guerre mondiale ». La publication, en avril 1969, des mémoires du maréchal Joukov met en valeur les conceptions stratégiques de Staline et confirme sa réhabilitation comme chef militaire.

Un autre événement attire aussi l'attention sur les problèmes de l'armée. Fait sans précédent, le grand défilé du 1er mai 1969, à Moscou, se déroule sans les militaires. Aucune explication officielle n'est fournie pour cette surprenante annulation. Raisons techniques, motifs politiques ? La question reste entière. Pas de réponse non plus à celle qui est posée par les deux séjours en Tchécoslovaquie (entre le 30 mars et le 14 avril) du maréchal Gretchko, ministre de la Défense. C'est lui qui s'est chargé de la tâche habituelle des dirigeants politiques : faire franchir à Prague une nouvelle étape dans la normalisation.

Le remplacement de Dubcek, le 17 avril, couronnera ses efforts. Mais le mérite de ce succès retombera beaucoup plus sur l'armée, que symbolise Gretchko, que sur les civils du parti, singulièrement absents de cette épreuve. Il faudra attendre la réunion des responsables politiques de l'armée, convoqués le 26 mai, pour en savoir plus sur la manière dont vont s'établir les rapports entre cadres militaires et responsables du PC.

L'attentat de la place Rouge

L'homme qui, le 22 janvier 1969, sera à l'origine de ce qu'on appelle « l'affaire de l'attentat du Kremlin » est, selon plusieurs renseignements concordants, un officier de l'armée soviétique. L'uniforme est apparemment le seul élément qui permette de classer son geste dans la rubrique d'une éventuelle tension armée-parti, plutôt que dans celle des faits divers. Qui a-t-il visé à la porte Borovitsvaya du Kremlin dans le cortège officiel des quatre cosmonautes, héros de la jonction de Soyouz 4 et Soyouz 5 ?