Il se trouve qu'un certain nombre de disciples de Lénine ont une conception beaucoup moins quantitative du développement du communisme. En particulier, l'un des invités aux festivités, dont la présence eût été assez normale, mais qui ne vint pas : Fidel Castro. C'est un modeste ministre de la Santé qui représenta Cuba. Depuis longtemps, les désaccords entre Moscou et La Havane avaient éclaté au grand jour. La conférence de l'OLAS et la condamnation de « l'aventurisme » cubain par les Soviétiques et leurs fidèles des PC d'Amérique latine avaient fait le reste.

Quand, dans son grand discours du 6 novembre, L. Brejnev exaltera le combat des héros tombés pour la cause du communisme, il ne dira pas un mot de la mort toute récente de Che Guevara. On peut croire un moment à la possibilité d'une rupture complète, à un arrêt des précieuses livraisons soviétiques. Il n'en est rien. Castro et Brejnev ont seulement définitivement renoncé à tout espoir d'un accord idéologique et politique. Brejnev continue à vilipender le « gauchisme », et Castro à railler les opportunistes.

Après d'interminables marchandages, le Parti soviétique et ceux qui suivent fidèlement sa ligne, comme le français et le bulgare, avaient fini par obtenir la convocation à Budapest d'une conférence consultative qui préparerait la conférence mondiale des partis communistes voulue depuis si longtemps par Moscou.

Des absents de poids

Le nombre des présents fin février, à Budapest, n'a pas compensé, et de loin, le poids des absents. L'arrivée des délégués du Salvador ou d'Haïti ne pouvait faire oublier le refus des Cubains. Les Japonais, dont les relations avec les « révisionnistes de Moscou » s'étaient pourtant nettement améliorées quelques semaines auparavant, n'étaient pas non plus là. Ni les Coréens ni les Vietnamiens. Et, à peine arrivés, les Roumains reprenaient le train, prétextant une altercation avec le délégué syrien. Michel Souslov obtint finalement la convocation de la vraie conférence pour novembre 1968.

Idéologie et pacte de Varsovie

L'hérésie cubaine, pour être gênante, n'en est pas moins lointaine. Il n'en va pas de même de celle qui se développe aux frontières mêmes de l'URSS, en Tchécoslovaquie. Une certaine idéologie et une certaine conception de l'intérêt de l'État soviétique sont mises en péril.

L. Brejnev avait-il décidé de jeter tout le poids de son autorité et de ses divisions blindées dans la balance, quand il vint à Prague s'informer du sort que l'on réservait à son fidèle ami Novotny ? On ne le sait pas encore. On peut seulement penser que le Kremlin s'est trouvé assez divisé sur la méthode à suivre pour enrayer l'aggravation et l'extension de la déviation tchécoslovaque.

Le danger d'une amélioration rapide et profonde des relations entre Prague et Bonn était aussi redouté que celui de la contagion des idées libérales. Walter Ulbricht avait de fortes raisons de craindre l'une et l'autre. Il somme Moscou de faire quelque chose. Et c'est la réunion de Dresde, le 23 mars, où A. Dubcek se retrouve face à ses juges. Quelques jours plus tard, l'élection du général Svoboda à la présidence rassure Brejnev et Kossyguine. Dans les semaines qui suivent, ils parviennent à réaliser un compromis avec Prague.

Les manœuvres d'état-major du pacte de Varsovie ont finalement lieu en juin sur le territoire de la Tchécoslovaquie. Auparavant, les Tchécoslovaques avaient accepté de mener plus discrètement leurs négociations avec Bonn, mais le compromis était très fragile. Alors même que le maréchal Yakoubovski, chef d'état-major des forces du Pacte, séjourne à Prague et préside des meetings d'amitié, la polémique idéologique reprend de plus belle.

L'académicien Konstantinov attaque, dans un long article de la Pravda, le « révisionnisme » de Cisar, secrétaire du comité central tchécoslovaque, l'un des plus importants représentants de la tendance libérale. Des écrivains tchèques et slovaques sont injuriés dans les publications de l'Union des écrivains soviétiques.

Comme dans le différend avec Castro, l'URSS dispose de moyens de pression économiques très puissants. Elle ne tient certes pas la Tchécoslovaquie à bout de bras, comme c'est le cas pour Cuba. Mais elle constitue pour le moment un client irremplaçable. Aucun autre pays que l'URSS ne pourrait, dans un avenir prévisible, absorber autant de produits de son industrie lourde ou textile. La perte de ce débouché compromettrait la réforme et la modernisation en cours de l'économie tchécoslovaque.

Les problèmes de la paix

Bucarest avait maintenu ses relations diplomatiques avec l'État d'Israël quand tous les autres pays socialistes, y compris la Yougoslavie, les rompaient. Mais, au mois d'août, une contestation bien plus grave du leadership soviétique se produisait. Les dirigeants roumains formulaient de sévères critiques contre le projet soviéto-américain de traité de non-dissémination.