Certains socialistes poussent loin le goût de l'holocauste. Helmut Schmidt propose au congrès SPD de Nuremberg de substituer à la proportionnelle le scrutin majoritaire, facteur de bipartisme, mais favorable pour la CDU. Les délégués refusent. Le ministre CDU de l'Intérieur, Paul Lücke, démissionne.

Les élections au Parlement provincial de Stuttgart, le 28 avril 1968, ne dégagent pas de majorité absolue et infligent une cuisante leçon aux sociaux-démocrates.

Les étudiants ouvrent les hostilités contre Springer en février 1968 et celles-ci redoublent en avril, après l'attentat contre Rudi Dutschke. Ils s'attaquent aux maisons du groupe et aux camions de livraison, brûlant les exemplaires des journaux. Cela fait monter ses ventes. Contre la révolte, les autorités défendent la légalité. Mais la légalité, c'est Springer. Comment réduire la puissance du groupe ? Bonn hésite. Panique ou habileté, Springer commence à vendre une partie de son trust fin juin 1968.

L'Université critique des étudiants d'extrême-gauche (SDS) met en accusation le parlementarisme. Ses analyses pessimistes semblent justifiées par les gains électoraux du parti néo-nazi NPD : 8,8 % des voix à Brème le 1er octobre 1967, 9,80 % en Bade-Wurtemberg sept mois plus tard, des députés dans sept Parlements de province. Adolf von Thadden, président du NPD, s'enhardit jusqu'à proposer, heureusement sans succès, un accord de coalition à la CDU de Stuttgart. Son programme se résume en trois mots : « L'Allemagne aux Allemands. »

Un homme a acquis davantage d'influence que les partis : Axel César Springer. Son trust couvre 70 % de la presse à Hambourg et à Berlin, 40 % sur l'ensemble du pays. Le tirage total du groupe atteint 17,5 millions (journaux et périodiques). Le plus gros tirage : la Bild-Zeitung, elle tire à 4,16 millions. La dernière née de ses revues, Jasmin, vend 2 millions d'exemplaires dès le troisième numéro. Springer s'offre le luxe d'un quotidien politique déficitaire Die Welt, tirant à 246 000 exemplaires en 1967. Sa tendance est définie par ce slogan : « On est contre le communisme comme on est contre le cancer. »

Berlin-Ouest

La ville aux trois secteurs fait à nouveau parler d'elle.

Les étudiants berlinois, originaires à 40 % d'Allemagne de l'Ouest, ont tenu la vedette de la révolte universitaire en Europe de l'été 1965 à Pâques 1968. Grâce à eux, l'opinion internationale, française surtout, a oublié les traits du « vilain Allemand », hitlérien hier, néo-nazi aujourd'hui. Leur première ambition est de libéraliser davantage le « modèle berlinois » de cogestion étudiante à l'université. Leur deuxième objectif est de substituer à l'anticommunisme émotionnel de Berlin-Ouest et de ses autorités le néo-rationalisme marxisant que prône le leader étudiant Rudi Dutschke.

Atomisée en clubs et en groupuscules, l'opposition extraparlementaire des intellectuels de gauche (APO) est néanmoins d'accord sur l'essentiel depuis l'assassinat de l'étudiant Benno Ohnesorg par un policier, le 2 juin 1967. Bénéficiant d'un second souffle à la suite des émeutes qui répondent à l'attentat perpétré contre Rudi Dutschke par un jeune exalté, Bachmann, le 11 avril 1968, elle élabore des solutions de rechange à la politique du Sénat-gouvernement de Berlin-Ouest.

Le nouveau bourgmestre, Klaus Schütz, quarante et un ans, protégé de Willy Brandt, devient peu à peu l'otage de la droite de son parti, le SPD. Le 26 septembre 1967, la droite a éliminé son prédécesseur, le bourgmestre Albertz, qui commençait à avoir des idées personnelles. Elle élit Klaus Schütz président local du SPD en mai 1968.

Klaus Schütz est persona non grata à Berlin-Est. Berlin-Ouest vit donc replié derrière le mur qui la cerne. La seule issue : renforcer les attaches occidentales. La Fédération patronale des industries allemandes crée un groupe de travail ad hoc. Paradoxalement, la situation de Berlin-Ouest lui parait moins alarmante qu'il y a deux ans.

La récession économique de 1966-67 a moins touché Berlin-Ouest que l'Allemagne de l'Ouest. Le soutien financier accordé à Berlin de longue date par les finances publiques de la République fédérale a eu un effet anticyclique. Au chômage, un moment aigu, succède le manque de main-d'œuvre. Un taux de naissances favorable, un taux de mortalité très élevé par suite d'une proportion de vieillards double de ce qu'elle est en Allemagne de l'Ouest, contribuent à la normalisation de l'échelle des âges. Le temps ne travaille plus contre la ville.