À la mi-avril 1968, le Premier ministre Chou En-lai et l'épouse de Mao, Mme Chiang Ching, affirment que le pouvoir maoïste sera installé partout avant le 10 mai. Espoir contredit par les faits : en juin, il reste encore une demi-douzaine de régions ou de provinces sans comité révolutionnaire. Notamment toutes celles de la frontière lointaine de l'Ouest (Sinkiang, Tibet, Yunnan, Kouang-si) et celles comprises entre Pékin et Canton, plus ou moins coupées du pouvoir central (Foukien et Anhwei).

Mao Tse-toung mène cette épreuve d'endurance après en avoir mûri les grandes lignes au cours d'un discret voyage au Nord, à l'Est et au Centre pendant l'été 1967. Sa conclusion est publiée en novembre : « La situation n'est pas seulement bonne, elle est excellente, meilleure que jamais. » À quoi il ajoute, en janvier : « Elle s'améliorera encore dans quelques mois. »

Pour ce vieux lutteur, la route est longue et le temps n'a pas la valeur d'obstacle qu'on lui accorde en Occident. Le 18 mai 1967, à l'occasion de l'anniversaire du coup d'envoi de la Révolution culturelle, le Quotidien du peuple constate : « Le peuple et les membres du Parti doivent se garder de croire qu'ils pourront un jour dormir tranquillement et que tout ira bien après une, deux, trois ou quatre grandes révolutions culturelles. »

Pour préparer cette nouvelle Longue Marche dans le temps, Mao attaque sur tous les fronts à l'intérieur et à l'extérieur : les révisionnistes, les Gardes rouges, le parti, l'armée, les ennemis de la Chine.

La nouvelle hiérarchie

La liste officielle des dirigeants publiée après le 1er mai 1968 confirme celle du 1er octobre 1967.

Restent à la tête :
Mao Tse-toung, président du Parti ;
Lin Piao, vice-président ;
Chou En-lai, Premier ministre ;
Chen Po-ta, chef de la Révolution culturelle ;
Kang Sheng, chef en second de la Révolution culturelle, chargé des services secrets ;
Chou Teh. président de l'Assemblée nationale ;
Li Fou-chun, vice-Premier ministre, chef du Plan ;
Chen Yun, vice-Premier ministre, responsable de l'Économie.

Également confirmée, la disparition intervenue, pour la première fois, le 1er octobre 1967 de : Tao Chu (ex-no 4), chef de la Propagande, ex-gouverneur du Sud ; Teng Hsiao-ping (ex-no 6), secrétaire général du Parti, et Liu Shao-chi (ex-no 8) président de la République. Entre le 1er octobre et le 1er mai, des promotions, dont celle de Mme Chiang Ching, épouse de Mao, passée au 9e rang, et des destitutions, dont la plus spectaculaire est celle du chef d'état-major, Yang Cheng-wu, écarté de la direction de la Révolution culturelle, au bénéfice de Mme Chiang Ching.

Destitution aussi du président de la Confédération des syndicats, Liu Ning-yi, et disparition de la tribune officielle de la vice - présidente de la République, Mme Sun Yat-sen.

Retour des « égarés »

Liu Shao-chi et ses amis sont toujours là, mais désormais invisibles et constamment attaqués. On les garde, semble-t-il, pour servir d'exemple à ne pas suivre, de cible permanente d'où rebondissent les idées à mettre en pratique. Dès juillet 1967, pour le 46e anniversaire du Parti, le Drapeau rouge affirme que « la plus haute personnalité ayant emprunté la voie capitaliste (Liu) est démasquée et renversée ». Quelques jours plus tard, celui qui est toujours président de la République et vit en reclus se livre à une nouvelle autocritique qui ne satisfait personne ; « une tentative de contre-offensive sous forme d'admission de culpabilité , dit-on officiellement. Résultat, ni lui ni son complice Teng Hsiao-ping n'apparaissent lors de la fête nationale du 1er octobre.

Alors qu'on s'acharne toujours sur le bouc émissaire (le « Khrouchtchev chinois », la « canaille no 1 »), se développe une campagne pour la récupération des cadres « égarés », aussi bien dans les provinces, où ils sont intégrés dans les nouveaux Comités révolutionnaires, que dans la capitale, où les deux exemples les plus évidents sont le vieux maréchal Chou Teh et le ministre des Affaires étrangères Chen Yi, qui font leur réapparition, le 1er octobre et le 1er mai, aux côtés de Mao.

Fin des Gardes rouges

Parallèlement, les Gardes rouges, dont on a confisqué les brassards et interdit les journaux « activistes » à Pékin, doivent, peu à peu, revenir au calme et rentrer dans le rang :
– soit en réintégrant les écoles ou les universités ; la réouverture de celles-ci — au moins théorique — s'est échelonnée depuis le printemps 1967 avec un programme profondément remanié (écourté à trois ans pour les universités), faisant une large place aux travaux manuels obligatoires, aux études politiques et à l'entraînement militaire sous la direction de moniteurs de l'armée ;
– soit en partant vers la lointaine Mongolie faire de l'« auto-révolutionnarisation » ;
– soit en retournant travailler dans les usines ou en aidant les paysans à rentrer leurs récoltes ;
– soit encore en suivant les cours d'éducation prolétarienne ouverts dans les grandes villes.