La loi de pouvoirs spéciaux fait obligation au gouvernement de soumettre au Parlement, avant le 31 décembre, un projet de ratification de toutes ces ordonnances. Dès la rentrée parlementaire d'automne, l'opposition s'agite et réclame que le débat vienne sur-le-champ ; elle dépose une motion de censure, la quatrième, que 10 sur 41 centristes seulement votent et qui ne recueille, de ce fait, que 207 voix.

Un peu plus tard encore, Valéry Giscard d'Estaing, dont les amis n'ont pas voté la censure, mène une petite guerre d'escarmouches parlementaires sur les ordonnances, sur l'application de la TVA et la réforme de la fiscalité qui en découle, sur le budget de 1968. Le gouvernement réagit, négocie et, au prix de quelques aménagements de détail, passe avec sa majorité un accord d'ensemble qui assurera le vote du budget. Et il attend la clôture de la session pour déposer — avant le 31 décembre, mais après que les députés se sont séparés — le projet de ratification. Au printemps 1968, il acceptera quelques amendements aux ordonnances relatives à l'emploi, puis attendra d'avoir, à travers la dissolution de mai et les élections de juin, une majorité tout à fait sûre pour faire ratifier les textes relatifs à la Sécurité sociale.

L'abrogation des ordonnances a constitué, pendant tout l'hiver et jusque dans la campagne électorale de juin, un des thèmes de propagande les plus constants et insistants de l'opposition de gauche et des syndicats ouvriers. Jamais, cependant, les slogans lancés à ce sujet n'ont réussi à remuer vraiment les masses.

D'Israël au Québec

Les deux prises de position tranchées et controversées du général de Gaulle en politique extérieure, qui marquent le début de l'été 1967 — la dénonciation d'Israël comme agresseur après la guerre des six jours de juin et le cri « Vive le Québec libre ! » lancé en juillet à Montréal — provoquent dans les affaires intérieures des remous sérieux et prolongés.

Pour ce qui a trait à Israël, les déchirements et les controverses semblaient s'apaiser lorsque, à sa conférence de presse du 27 novembre, de Gaulle relance la crise de conscience de certains de ses partisans et l'indignation de certains de ses adversaires en parlant du « peuple d'élite, sûr de lui-même et dominateur ». Il lui faudra expliquer au grand rabbin, venu présenter, selon l'usage, à l'Élysée les vœux traditionnels de fin d'année, que le propos était flatteur, publier sa correspondance avec le président Ben Gourion, pour que les conflits s'apaisent, sans que s'effacent toutes les ruptures provoquées par cette affaire.

La manifestation en faveur des Canadiens français est d'abord mal comprise, elle aussi, et mal admise en France. En plein mois d'août, une allocution radiotélévisée destinée à l'expliquer et à rassurer l'opinion relancera, là aussi, les discussions. C'est au lendemain de cette intervention que Valéry Giscard d'Estaing parlera de « l'exercice solitaire du pouvoir », s'attirant une riposte graduée des républicains indépendants qui appartiennent au gouvernement, puis de l'UNR-UDT, enfin de Georges Pompidou.

D'autres « petites phrases »

Les petites phrases : ce fut un des leitmotive des dix premiers mois de l'année politique 1967-68. Il y avait eu les formules à l'emporte-pièce du chef de l'État, la réplique aigre-douce de V. Giscard d'Estaing. D'autres petites phrases allaient suivre, caractérisant le débat proprement politique entre les partis de la majorité comme de l'opposition.

« Nous n'irons pas à Lille », proclame, à l'automne, un bruyant éditorial de l'organe des gaullistes de gauche, l'hebdomadaire Notre République. Lille reçoit, en effet, les assises nationales du mouvement gaulliste, en novembre, et Louis Vallon et René Capitant ne participent pas à cette réunion du Compagnonnage. Pourquoi ? Ils reprochent vertement au Premier ministre et à son gouvernement de faire une politique de droite, de négliger ou d'étouffer la réforme sociale gaulliste, presque de trahir le général. D'autres, vieux fidèles ou jeunes loups, ne sont pas plus satisfaits de l'évolution du pouvoir et, à Lille, ne mâchent pas leurs mots. On tire non sans mal un voile pudique sur ces désaccords que l'élection, en janvier, de Robert Poujade comme secrétaire général du mouvement, qui prend le nom d'Union démocratique pour la Ve République, l'UD Ve, contribuera à apaiser : le député de Dijon, normalien et agrégé comme le Premier ministre, est l'homme-synthèse, à la fois vieux militant (il était gaulliste en khâgne, en 1945) et encore jeune cadre, il vient de province (les Parisiens sont trop envahissants), il sera espère-t-on, ardent et raisonnable.