Les autopompes policières crachent l'eau. Puis viennent les grenadages, les charges rapides. D'entrée, gardes mobiles et groupes d'intervention de la préfecture de police placent l'affrontement sur une haute orbite. Ils réussissent à isoler la Sorbonne et l'Odéon. Irrésistiblement attirés par leurs deux quartiers généraux, désormais inaccessibles, les étudiants vont harceler l'ordre, planter puis abandonner leurs positions sur cette périphérie.

Ils progressent sans plan apparent, abeilles affolées cherchant à regagner leurs ruches. Ils renversent des voitures, dressent des barricades, foncent plus loin, reviennent brûler les précédentes, repartent. Feu place de la Contrescarpe, feu carrefour des Gobelins, feu rue des Saints-Pères. Ils multiplient les raids, les barrages, bombardent la police de pavés, cassent des vitrines, recommencent. À partir de 22 h 15, ils s'étalent ainsi dans Paris, de Montparnasse jusqu'à la gare du Nord. Ils ne s'arrêteront, épuisés, qu'à 5 heures du matin.

Deux constatations. D'abord, le bilan de la manifestation est le plus lourd connu dans la capitale : 1 500 interpellations, 400 blessés sérieux, 72 barricades, 75 voitures endommagées ou détruites, 10 cars de police saccagés, 5 commissariats attaqués, 25 arbres abattus, 24 vitrines brisées, 300 sorties des sapeurs-pompiers. Deuxième fait : les étudiants viennent de vivre leur dernier orage ; ils y ont perdu la sympathie du public.

Mercredi 12 juin

Nul ne proteste, en effet, dans le pays quand le gouvernement décide d'interdire leurs manifestations et de dissoudre divers groupes révolutionnaires : les prochinois et les trotskystes, le Mouvement du 22 mars et le groupe Révolte. On sent un peu partout poindre la lassitude.

Sur le front social, les derniers bastions grévistes cèdent. Les marins de Marseille et du Havre naviguent à nouveau, les grands magasins rouvrent ; Renault, Peugeot, Berliet acceptent la discussion. Elle viendra bientôt chez Citroën, à l'ORTF, aux Folies-Bergère.

Tandis que Cohn-Bendit, représentant de la révolution permanente, part pour l'Angleterre, avec ses échantillons, un ultime arrêt de travail de 15 à 16 heures, paralyse la France : une protestation contre la répression policière de la veille. À peu près au même instant, la première chambre du tribunal de Paris, présidée par Pierre Bellet, rend son verdict dans l'affaire du métro Charonne qui endeuilla — on déplora huit victimes — une manifestation anti-OAS, le 8 février 1962 : la justice impute la moitié des responsabilités à la Ville de Paris...

Jeudi 13 juin
Vendredi 14 juin
Samedi 15 juin

On reparle de l'OAS. Avec les libérations de l'ex-général Raoul Salan, du colonel Antoine Argoud, du capitaine J.-M. Curutchet et de 8 autres condamnés. Le colonel Lacheroy, qui vient de se rendre, bénéficie de la même mesure.

Dans le même temps, la Sorbonne se libère elle aussi. Mais de ses Katangais. Cette trentaine de blousons-noirs, dirigés entre autres par un déserteur de la Légion, furent engagés, dit-on, par les étudiants, au début des hostilités, contre la police. Depuis, ils ne faisaient plus que régner en despotes dans l'établissement, rackettant toutes les associations, princes chez les beatniks et les clochards enkystés à la Sorbonne et venus de la rue de la Huchette.

Menée par les étudiants, cette liquidation précède le grand nettoyage des lieux qu'ils envisagent. Ils ne s'opposent pas davantage — et pour les mêmes raisons — à l'évacuation du théâtre de l'Odéon demandée par la police. Ils le sentent, une grande, une lourde page tourne.

Dimanche 16 juin

Ce printemps brûlant, qui commença à Nanterre, meurt dans l'après-midi à la Sorbonne. Dans une atmosphère de roman policier. Vers 2 heures du matin, deux inconnus pénètrent dans la Sorbonne et déposent à l'infirmerie un blessé, inconnu lui aussi, puis disparaissent. Le docteur Kahn fait immédiatement transporter l'homme à l'Hôtel-Dieu : il a reçu, en effet, un coup de couteau. On apprendra plus tard que ce jeune ouvrier se nomme Jacques Barbier.