imagination

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du latin imaginatio, de imago, « image », « effigie », « idée », « portrait », de même racine que imitari. En grec : ei)kasi / a, fantasi / a. En allemand : Einbildungskraft, Phantasie.


Ce qu'on entend par imagination dans l'Antiquité et jusqu'au xviie s. a peu de chose à voir avec la fonction de l'imagination dans l'esthétique philosophique qui naît au xviiie siècle. Reproductrice et relevant de la mémoire dans la pensée prémoderne, l'imagination conquiert le statut d'une faculté essentielle dans la théorie de la connaissance et dans l'esthétique moderne.

Philosophie Générale

Faculté de former des images.

La pensée antique ne reconnaît pas à l'imagination de rôle légitime dans la connaissance. Platon situe l'eikasia – représentation imagée, comparaison – au degré le plus bas de la connaissance, à égalité avec les sensations, en l'affectant d'une connotation négative, car l'assimilation d'une représentation à une autre peut être trompeuse. Dans la rhétorique, en revanche, l'imagination intervient au titre de memoria (mnémè), celle des cinq opérations constitutives du discours qui fait appel à la mémoire de l'auditeur. Le sens négatif, largement répandu chez les auteurs antiques, pour lesquels l'imagination doit être combattue pour faire place à la raison (les stoïciens vont même jusqu'à faire des « fantaisies » des « maladies de l'âme »), persistera bien au-delà de la révolution que représente pour la théorie de la connaissance et pour le jugement esthétique l'approche moderne. Pourtant, Aristote rappelle que « l'imagination (phantasia) a tiré son nom de la lumière (phôs) » et que « sans lumière il est impossible de voir »(1), établissant un lien étymologique entre phantasia et phainomenon. Certes, l'imagination ne saurait être confondue avec les sensations « qui sont toujours vraies, tandis que les images sont le plus souvent fallacieuses » ; elle correspond plutôt au cas où « nos perceptions manquent de clarté ». Elle « ne peut s'identifier non plus à aucune des opérations qui sont toujours vraies, comme la science ou l'intellection, car l'imagination est aussi bien trompeuse »(2). Mais elle distingue l'homme des animaux, chez qui la sensation est toujours présente, tandis que l'imagination ne l'est pas. L'aristotélisme du Moyen Âge reprendra ces définitions en un sens positif ; pour saint Thomas d'Aquin l'imaginatio ou phantasia est non seulement représentation de choses absentes, mais ces représentations sont le matériau de l'intelligence productrice (intellectus agens)(3).

L'époque de transition – Descartes, Leibniz, Wolff, la Popularphilosophie allemande

Pascal ne voit dans l'imagination qu'une « maîtresse d'erreur et de fausseté », une « superbe puissance ennemie de la raison, qui se plaît à la contrôler et à la dominer »(4). Descartes, en revanche, reprend d'Aristote l'idée qu'« imaginer n'est autre chose que contempler la figure ou l'image d'une chose corporelle », « par la force et l'application intérieure de mon esprit »(5). Mais il faut distinguer l'imagination de quelque chose qui n'est point des « imaginations qui n'ont pour cause que le corps », que notre volonté ne forme pas, qui ne sont que des passions de l'âme(6).

S'il n'y a pas à proprement parler d'esthétique leibnizienne ou wolffienne, il y a chez Wolff une Psychologie dont l'impact fut important lors de la transition du rationalisme métaphysique à l'esthétique philosophique – ainsi chez Baumgarten(7). La position des Suisses (Bodmer, Breitinger) est, dans cette évolution, très originale par la façon dont ils tentent de prolonger la Psychologie de Wolff vers ce qu'on peut déjà appeler une esthétique de la réception. Ils reconnaissent en principe à tout homme le droit d'être un critique. Cette approche anthropologique frôle de très près la reconnaissance d'un statut spécifique d'une expérience esthétique fondée dans la nature humaine. Mais en cela résident cependant aussi les limites de leur esthétique : d'une part, l'art doit être en accord avec le « bon sens » et présuppose même un bon goût universel, d'autre part « l'imagination » tend à n'être qu'un outil rhétorique visant à se mettre à la portée de tous.

L'imagination a, sur les bases leibnizo-wolffiennes, le plus grand mal à s'affirmer comme faculté autonome. Bodmer et Breitinger, alors même que la défense du merveilleux est au cœur de leur argumentation, conçoivent l'imagination en fonction de la mimésis, quand bien même ils entendent qu'il s'agit d'imiter l'effet de la nature sur le récepteur et non la nature elle-même. Tout au plus admettent-ils que l'expérience esthétique précède l'intervention de l'entendement. L'imagination (facultas fingendi) reste comme chez Wolff la faculté de se représenter des choses en leur absence(8) ou de combiner des représentations afin d'engendrer l'image de mondes possibles(9).

Kant et l'idéalisme allemand

L'imagination est chez Kant tout à la fois la puissance médiatrice entre l'entendement et la sensibilité et, dans la Critique de la faculté de juger esthétique, la médiatrice entre l'idée et le réel. La Critique de la raison pure distingue de manière tranchée l'imagination productrice et l'imagination reproductrice. La première est un pouvoir de synthèse transcendantal, elle rend possible la connaissance a priori ; elle relève de l'unité synthétique originaire de l'aperception. C'est elle qui met en œuvre le schématisme et rend possible l'application des catégories, concepts purs de l'entendement, aux intuitions sensibles. Comme les schèmes sont des « déterminations a priori du temps », l'imagination peut être définie comme intuition du temps(10). Cet enracinement de la rationalité dans la temporalité est considéré comme fondamental par Heidegger ; dans Kant et le problème de la métaphysique, la temporalité des schèmes constitue pour lui l'ouverture du dasein humain à l'être(11). L'imagination reproductrice, quant à elle, est soumise aux lois empiriques de l'association et relève de la psychologie(12). Dans l'art, l'imagination, « créatrice de formes arbitraires d'intuitions possibles », est productive. La Critique de la faculté de juger n'envisage plus l'imagination comme rapport aux objets des sens mais comme rapport au sujet ; le plaisir que ressent ce dernier exprime « la convenance (Angemessenheit) de l'objet aux facultés de connaître qui sont mises en jeu dans la faculté de juger réfléchissante ». Dans le cas du sublime, en revanche, le sentiment de déplaisir ressenti « provient d'un défaut de conformité de l'imagination, dans l'estimation esthétique de la grandeur, avec l'évaluation de la raison »(13).

Selon Hegel, « [la] liaison [entre l'entendement et la sensibilité] est l'une des plus belles pages de la philosophie kantienne »(14). Mais il reproche à Kant de n'avoir pas vu qu'il saisissait ce faisant l'unité de l'entendement et de l'intuition, l'unité originaire du sujet et de l'objet antérieure à leur scission. Toute œuvre de l'imagination est pour Hegel une figure de l'unité de l'esprit. Dans sa philosophie de l'histoire, Hegel utilise le verbe einbilden (littéralement « informer ») pour l'activité de l'esprit qui « fait entrer » le principe de la liberté dans le monde. La Propédeutique philosophique réduit donc l'imagination à la représentation (Vorstellung), à une présentation imparfaite de l'absolu. « L'imagination poétique, en tant qu'imagination productrice (Phantasie), est au service des idées et de la vérité de l'esprit en tant que telle(15) ».

La radicalisation contemporaine de l'imagination

La lutte pour les droits de l'imagination n'est pas seulement devenue un poncif de l'esthétique moderne, mais elle a été promue au premier plan des « idées » politiques. Chez Marcuse, qui connut pour cette raison un regain de notoriété dans le contexte du mouvement d'émancipation politique et social des années 1965-1970 en Europe et aux États-Unis, ce poncif repose toutefois sur une réelle réflexion philosophique qui puise aux sources de la révolution du statut de l'imagination opérée par le xviiie siècle. Marcuse se réclame au premier chef de Schiller et de sa tentative d'objectivation de l'esthétique kantienne comme « liberté dans l'ordre des phénomènes » (Freiheit in der Erscheinung). Mais, tandis que Schiller ne parvient à envisager l'expression objective du libre jeu des facultés mentales que par la grâce, la « beauté en mouvement », il surinterprète l'instinct de jeu (Spieltrieb) et entend en faire, en un sens vitaliste, « le jeu de la Vie elle-même »(16). Cette thèse d'Éros et civilisation s'enracine dans une réflexion plus ancienne, remontant aux années 1930 et visant une théorie de l'imaginaire historique qui se substituerait à tout autre fondement de la rationalité. Dans « Sur la philosophie concrète », Marcuse tentait de faire de l'imagination productrice l'organon d'une connaissance inscrite dans l'histoire(17). Cette conception, dans l'Homme unidimensionnel, se retrouve aux prises avec le développement des forces productives qui préforment le schématisme de l'imagination. L'imaginaire de la société technologique est la sphère dans laquelle la réification se déploie comme illusion. Or, cette société offre à l'imagination des possibilités jusqu'alors « inimaginables », grâce auxquelles sa prétendue rationalité se révèle sous un jour « fantastique et démentiel ». Si la rationalité esthétique peut encore lui résister, c'est en s'affirmant comme « fiction avouée », une sorte de contre-fiction en somme, utopie ou dénonciation de la démence du mode de production par les moyens de l'art(18).

Cette offensive a été, depuis, dépassée et invalidée par le développement des nouvelles technologies, dans lesquelles la distinction traditionnelle entre le virtuel et le réel devient floue, comme, du même coup, la distinction entre imagination productrice et imagination reproductrice. Les nouvelles technologies de production et de diffusion d'images tant réelles que virtuelles s'arrogent la place qui était celle de l'aperception originaire dans la théorie kantienne(19). Elles ne sont plus seulement des moyens de saisie, de reproduction et de transformation des réalités perçues, elles sont des moyens de perception et de constitution du donné perçu en connaissance. L'intelligence devient artificielle – mais en a-t-il jamais été autrement ? L'objet construit par la science n'a-t-il pas toujours été l'objet d'un certain état de développement des moyens techniques de la science ? Il est du même coup également vain de vouloir opposer à cette imagination productrice les droits de l'imagination créatrice (Bachelard) ou même ceux de l'imagination visionnaire de l'artiste. L'esthétique du xviie s. reposait sur une ontologie ; celle du xviiie s. a fait valoir contre elle les droits du sujet. Il semble que l'« ontologie », si on peut l'appeler encore ainsi, ait pris sa revanche en imposant au sujet de l'esthétique kantienne, le génie qui crée « comme la nature », la fonction d'un technicien lançant les programmes d'une combinatoire de mondes possibles qui possède sa vie propre et ne la tient plus de son « génie ». Le sujet moderne est dépossédé de sa position de centre incontournable ; il n'est plus que le cameraman des métamorphoses du réel / virtuel.

Gérard Raulet

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Aristote, De l'âme, 429a.
  • 2 ↑ Ibid., 427b, 428a.
  • 3 ↑ Saint Thomas d'Aquin, De veritate, I, a. 11.
  • 4 ↑ Pascal, B., Pensées, éd. Lafuma, 44 & 551.
  • 5 ↑ Descartes, R., Méditations, in Œuvres et lettres, Gallimard, Paris, 1953, pp. 277 sq et p. 318.
  • 6 ↑ Descartes, R., les Passions de l'âme, art. 20 & 21, in Œuvres et lettres, Gallimard, Paris, 1953, pp. 705 sq.
  • 7 ↑ Cf. Baumgarten, A., Meditationes philosophicae de nonnullis ad poema pertinentibus (1735), rééd. Meiner, Hambourg, 1983, trad. Méditations philosophiques sur quelques sujets se rapportant à l'essence du poème, L'Herne, Paris, 1988, § 43, § 50 sq ; Métaphysique (1739), § 531 sq ; Esthétique (1750-1758), trad. L'Herne, Paris, 1988, § 423 & 424.
  • 8 ↑ Wolff, C., Vernünftige Gedanken von Gott (1719), trad. Pensées rationnelles sur Dieu, § 235.
  • 9 ↑ Wolff, C., Psychologia empirica, § 144.
  • 10 ↑ Kant, E., Critique de la raison pure, § 24 : « De l'application des catégories aux objets des sens en général », trad. A. Trémesaygues et B. Pacaud, PUF, Paris, 1944, p. 155.
  • 11 ↑ Heidegger, M., Kant et le problème de la métaphysique (1929), Gallimard, Paris, 1953, p. 186.
  • 12 ↑ Ibid., pp. 129 sq.
  • 13 ↑ Ibid., § 27, p. 96.
  • 14 ↑ Hegel, G. W. F., Geschichte der Philosophie, in Sämtliche Werke, éd. Glockner, 1965, t. xv, p. 570.
  • 15 ↑ Hegel, G. W. F., Propédeutique philosophique, in Sämtliche Werke, éd. Glockner, 1971, t. iii, pp. 35, 204 sq.
  • 16 ↑ Marcuse, H., Éros et civilisation (1955), trad. Minuit, Paris, 1968, pp. 164 sq.
  • 17 ↑ Marcuse, H., « Sur la philosophie concrète », trad. in Philosophie et révolution, Denoël, Paris, 1969, pp. 128 sq.
  • 18 ↑ Marcuse, H., L'homme unidimensionnel(1964), trad. Minuit, Paris, 1968, pp. 301, 310 ; La dimension esthétique, Seuil, Paris, 1979 ; et G. Raulet, Herbert Marcuse. Philosophie de l'émancipation, PUF, Paris, 1992.
  • 19 ↑ Virilio, P., L'espace critique, Bourgois, Paris, 1986.

→ aperception, Dasein, entendement, intuition, représentation, rhétorique, schématisme, sensibilité, sublime, temps, transcendantal

Philosophie Moderne

À l'âge classique, le terme a deux sens : image corporelle singulière ; faculté de former ou de recevoir des images.

Chez Descartes, l'imagination s'oppose à la fois aux sens – qui exige la présence de l'objet, alors qu'elle peut former une image en l'absence de celui-ci – et à l'entendement – qui peut se passer des images (l'exemple du morceau de cire montre que seul l'entendement peut accéder à l'essence des choses). Malgré son caractère trompeur, elle se voit reconnaître un rôle dans la science de la nature et tout ce qui concerne la connaissance des corps(1). Chez Hobbes, l'imagination se confond avec la sensation, qu'elle répète en l'absence de l'objet, et elle forme des images ou des idées, alors que l'entendement produit des raisonnements, c'est-à-dire met en ordre les idées ou images grâce aux noms(2). On retrouve chez Spinoza une opposition entre entendement et imagination analogue à celle du cartésianisme, mais ici on peut construire des lois de l'imagination, qui sont celles du premier genre de connaissance(3).

Dans ces problématiques, comme dans beaucoup d'autres à l'âge classique, quelles que soient leurs variantes, l'imagination joue un rôle surtout négatif, lié au corps, au langage, à la mémoire – mais retrouve un rôle positif lorsqu'il s'agit de penser ce qui échappe à l'entendement.

Pierre-François Moreau

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Descartes, R., Méditations métaphysiques.
  • 2 ↑ Hobbes, T., IIIes Objections aux Méditations de Descartes.
  • 3 ↑ Spinoza, B., Traité de la Réforme de l'Entendement.

Esthétique

Faculté de se représenter des images ou d'en former de nouvelles. D'abord pensée comme faculté reproductrice et liée à la mimèsis, l'imagination va progressivement s'affirmer comme puissance créatrice, contribuant parallèlement à libérer l'art de son obédience au réel.

Du fait qu'il la sollicite nécessairement (tant pour dupliquer le réel que pour en goûter l'imitation), l'art mimétique encourt la même défiance que l'imagination, longtemps suspectée de ne fournir que des images dérivées de la sensation immédiate, sans posséder leur évidence ni rigueur de pensée. Pour Platon(1), l'image est d'autant plus trompeuse qu'elle paraît ressemblante ; l'art risque ainsi de produire des simulacres captieux qui enferment dans les mirages de l'apparence. C'est néanmoins lui reconnaître en creux le pouvoir de donner corps au non-être au point d'en imposer la présence. Selon Longin, l'orateur atteint le sublime s'il sait ressentir et susciter ces imaginations (phantasiai) qui font surgir la scène évoquée et transportent l'auditeur(2). La Renaissance amplifie cette conception en forgeant, par la seule force de l'évocation littéraire, les contours d'un monde sans lieu : une utopie alternative(3).

Dès lors, l'art revendique cette puissance active qui ne se contente pas de répliquer le réel mais crée un écart fécond, même si elle reste soumise aux desseins de l'intelligence. Kant l'affranchit de cette subordination : le jugement esthétique est un jugement réfléchissant où s'éprouve le jeu harmonieux de l'imagination et de l'entendement. Dans sa liberté, l'imagination « élargit le concept lui-même esthétiquement et d'une manière illimitée » ; elle est ainsi créatrice et essentielle au génie(4). Les romantiques l'exalteront en la distinguant définitivement de la simple fantaisie reproductive. Baudelaire en fait même la « Reine des facultés » qui doit gouverner toutes les autres ; elle seule sait « digérer et transformer » le « magasin d'images » du visible qui n'est qu'un « dictionnaire à feuilleter » pour composer et créer une surnature(5).

L'imagination a donc conquis une place centrale dans les arts, en se délivrant à la fois de la tutelle du concept et de la restitution d'un réel. Que Sartre l'interprète comme une néantisation du monde et une visée d'irréel(6), ou que Bachelard choisisse d'exalter le dynamisme d'une imagination enracinée dans le monde et les matières, et « à qui appartient cette fonction de l'irréel psychiquement aussi utile que la fonction du réel »(7), elle transcende le réel immédiat pour affirmer sa puissance de liberté et de création.

Marianne Massin

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Platon, République X, Sophiste.
  • 2 ↑ Longin, Du sublime (XV), Rivages, Paris, 1991.
  • 3 ↑ More, T., l'Utopie (1516), Flammarion, Paris, 1987.
  • 4 ↑ Kant, E., Critique de la faculté déjuger, § 49, trad. A. Philonenko, Vrin, Paris, 1968.
  • 5 ↑ Baudelaire, C., Œuvres complètes, t. 2, Salon de 1859 (cf. aussi Notes nouvelles sur Edgar Poe), et t. 1, Fusées, Gallimard, La Pléiade, Paris, 1973-1976.
  • 6 ↑ Sartre, J.-P., l'Imaginaire. Psychologie phénoménologique de l'imagination, Gallimard, Paris, 1940.
  • 7 ↑ Bachelard, G., la Terre et les rêveries de la volonté, José Corti, Paris, 1948 ; la Psychanalyse du feu, 1938 ; l'Eau et les Rêves, 1942 ; l'Air et les Songes, 1943 ; la Poétique de l'espace, 1957 ; la Poétique de la rêverie, 1960.
  • Voir aussi : Starobinski, J., L'œil vivant II. La relation critique (« L'empire de l'imaginaire »), Gallimard, Paris, 1970.
  • Védrine, H., Les Grandes Conceptions de l'imagination. De Platon à Sartre et à Lacan, le Livre de Poche, Paris, 1990.

→ art, création, génie, imaginaire, sublime

Psychologie, Philosophie Cognitive

Faculté d'évoquer des images en l'absence de modèle (imagination productrice) ou de les recombiner à partir de souvenirs d'images (imagination reproductrice).

La théorie psychologique de l'imagination dépend au départ des idées sur sa fonction épistémique en philosophie de la connaissance : sur un premier axe, l'imagination est comme le moyen terme entre la sensation et l'entendement. Elle hériterait de l'une divers traits de passivité (l'imagination reproductrice, du moins) et du second l'autonomie active dans la construction de formes. Sur un deuxième axe, l'imagination est supposée à la reviviscence du souvenir, qu'elle réactualise à l'occasion de l'anticipation du nouveau. Mais l'élucidation du pouvoir intrinsèque d'imaginer est alors obérée par sa disqualification traditionnelle comme principe d'illusion, introduisant soit le sensible dans le concept, soit le disparu dans le présent.

Deux traits résument ce qu'il y a à expliquer, en psychologie, dans l'imagination. Le premier, noté par Sartre(1), c'est qu'imaginer, c'est poser l'irréalité de l'objet imaginé ; on ne peut donc reprocher à l'imagination de tromper puisque n'est trompeur que l'usage de cette irréalité dans le raisonnement. Le second, dégagé par Wittgenstein(2), demande pourquoi, si j'ai une image de Pierre, j'ai bien une image de Pierre : certainement pas parce que l'image ressemble à Pierre (sous peine de régresser à l'infini) ; il en ressort que l'image est intrinsèquement intentionnelle (imaginer c'est « voir comme »). Mais il est difficile de changer ces remarques conceptuelles en contenu scientifique positif.

La psychologie cognitive substitue donc à la problématique de l'imagination l'analyse expérimentale des opérations mentales sur les images. Mais il est possible que cette tentative évacue complètement l'imagination et ne l'éclairé pas. En effet, si l'on examine ce qui se passe quand je déplace ou transforme une image mentale, on suppose que l'image est un objet perçu « à l'intérieur de soi » par un observateur qui en juge. Or, est-ce que j'imagine le mouvement d'une chose, ou bien est-ce que je déplace l'image mentale que j'en ai ? C'est différent : dans le dernier cas, on prend une métaphore valable pour les objets du monde extérieur au pied de la lettre, et il manque par exemple entre moi et l'image-objet les repères spatio-temporels requis pour objectiver l'image (selon Alain, on peut imaginer le Panthéon avec toutes ses colonnes ; mais peut-on compter les colonnes sur l'image mentale du Panthéon comme sur le Panthéon réel ?).

Pierre-Henri Castel

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Sartre, J.-P., l'Imaginaire, Paris, 1940.
  • 2 ↑ Wittgenstein, L., Philosophical Investigations, Oxford, 1953.
  • Voir aussi : Ribot, T., Essai sur l'imagination créatrice, Paris, 1900.

→ imagerie mentale, imaginaire, schématisme