sublime

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du latin sublimis, dérivé de sub, qui marque le déplacement vers le haut, et de limis, « oblique », « de travers » ; ou, selon une autre hypothèse, de limen, « limite », « seuil ».


Double origine dans l'Antiquité ; innovation linguistique de Boileau ; élaboration au xviiie s. ; mise en relation avec l'art abstrait et la psychanalyse.

Esthétique, Métaphysique, Politique, Psychanalyse

Principe d'entame et de débordement du sujet, en même temps que l'expérience esthétique et métaesthétique que ce principe commande et où il se découvre, expérience par laquelle le sujet, suspendu entre l'angoisse des liens défaits et l'éblouissement d'un enjeu obscur, se trouve acculé à une forme de sublimation.

Le concept de sublime trouve son origine dans le Peri hypsous (Du sublime), dont on a attribué la paternité à Longin : il y est défini comme « une certaine cime et éminence des discours », recherchée par les hommes politiques et ayant pour « sources » la force de conception et la passion véhémente créatrice d'enthousiasme, mais aussi le tour heureux des figures, la noblesse d'expression et la dignité de composition. Quant au substantif « le sublime », c'est une invention de Boileau (1674), destinée à mettre un terme aux traductions de hypsos par « genre sublime » ou « style sublime » : « Une chose peut être dans le style sublime et n'être pourtant pas sublime, c'est-à-dire n'avoir rien d'extraordinaire ni de surprenant. »(1)

La réflexion sur le sublime se développe, en effet, à partir d'une double tradition. La tradition latine, allant dans le sens de l'efficacité juridique et pratique, détermine un ou plusieurs caractères sublimes, de manière à définir des niveaux du discours et à perfectionner ce prodigieux outil rhétorique qu'est la théorie des styles : la référence au substantif grec hypsos (« hauteur », « élévation ») demeure problématique et n'apparaît en tout cas pas chez Quintilien, lequel rend l'adjectif sublimis par adros (« fort », « puissant »). La tradition grecque, au contraire, d'esprit philosophique, s'attache à l'idée du sublime et s'efforce d'en élucider la genèse et le statut, en surprenant le sublime à l'état naissant.

Composé peut-être dans le deuxième tiers du ier s. après J.-C. et resurgi à Rome au début du Cinquecento, le traité Du sublime rivalise avec la Poétique d'Aristote. Ses traductions et ses commentaires se multiplient de la fin du xviie s. au milieu du xviiie s., époque où l'esthétique devint une discipline à part entière. Le sublime s'étend alors à la nature et aux arts visuels. Permet-il de renforcer l'esthétique à l'état naissant, ou bien constitue-t-il la dénonciation de l'illusion d'autonomie qu'elle envelopperait ? Les deux thèses ont été soutenues.

Vico (1744) voit dans le sublime un mode d'expression collectif, unissant des facultés les plus disparates sous le chef d'une invention poétique anonyme, conçue comme source d'actes et de croyances propres à des nations entières et destinées à cimenter leur cohésion.

Quant à Burke (1757) et à Kant (1764 et 1790), le fil directeur qui leur permet de donner son statut et sa portée à la catégorie du sublime est la critique du beau, sous ses formes naturelles et artistiques. Alors que le beau engendre une satisfaction calme, le sublime produit un trouble et un ébranlement de tout l'être, et semble même naître dans l'expérience qui le découvre. Aux passions sociales qui nous attachent à des objets plus ou moins contingents de sympathie ou d'amour et suscitent l'idée du beau, Burke oppose les passions qui touchent à « la conservation de soi » ou à ce que nous appellerions aujourd'hui le narcissisme, dans sa triple dimension, physique, psychologique et morale : le sublime subvertit l'amour de soi et suspend les repères identificatoires. C'est en ce sens qu'il a pour « principe gouverneur » une terreur fondamentale, propre à ce que nous nommons aujourd'hui finitude. Et son véhicule privilégié, encore qu'aléatoire, n'est ni la simplicité, comme chez Longin, ni la grandeur absolue, comme ce sera le cas chez Kant, mais l'obscurité(2).

Là où Burke tente une genèse et une archéologie du sublime, Kant élabore une théorie transcendantale, rendant compte des conditions de possibilité du sublime dans la structure du sujet, ne cessant de se transcender lui-même. Le sublime y apparaît comme principe de débordement et de la faculté de connaître et de la faculté de désirer, cependant que son mode de présentation devient strictement négatif : « Le sublime authentique ne peut être contenu en aucune forme sensible ; il ne concerne que les Idées de la raison qui, bien qu'aucune présentation adéquate n'en soit possible, sont néanmoins rappelées et ravivées de par cette inadéquation même, dont une présentation sensible est possible. »(3)

Du point de vue de la philosophie de l'art, la victoire critique du sublime sur le beau trouve sa confirmation dans le mouvement de l'abstraction, chez Worringer(4) et chez les plus illustres représentants de l'expressionnisme abstrait, tels B. Newman ou M. Rothko.

Dans la mesure où la dynamique explosive du sublime met en cause le monde des biens présumés stables et définitivement acquis, elle apparaît par ailleurs liée à la poussée et l'exigence sublimatoires, telles que la psychanalyse en met moins à nu le mécanisme qu'elle n'en atteste le surgissement.

Lançant un défi à nos différentes facultés dont il freine, motive et canalise l'élan psychique, le sublime suscite un mouvement complexe, mi-conscient mi-inconscient, qui est bien une forme de sublimation, puisqu'il atteste la plasticité exceptionnelle d'un désir dont se relâchent les liens avec tout idéal préétabli.

Baldine Saint Girons

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Préface de Boileau à sa traduction du Traité du sublime (1674), éd. F. Goyet, Livre de poche, Paris, 1995, p. 70.
  • 2 ↑ Burke, E., Recherches philosophiques sur l'origine de nos idées du sublime et du beau, trad. B. Saint Girons, IIe partie, Vrin, Paris, 1990.
  • 3 ↑ Kant, I., Critique de la faculté de juger (1790), § 23, trad. A. Philonenko, Vrin, Paris, 1968, p. 85.
  • 4 ↑ Worringer, W., Abstraction et Einfühlung. Contribution à la philosophie du style (1908), trad. E. Martineau, Klincksieck, Paris, 1987.
  • Voir aussi : Du Sublime, Belin, Paris, 1988.
  • Kant, I., Observations sur le sentiment du beau et du sublime (1764), trad. M. David-Ménard, GF-Flammarion, Paris, 1990.
  • Saint Girons, B., Fiat Lux. Une philosophie du sublime, Vrin, Paris, 1993.

→ beauté, esthétique, faculté de juger, génie