Les documents portés à l'attention de l'opinion internationale au lendemain de la libération des camps de concentration et d'extermination ont très vite convaincu que cette guerre n'avait pas été une guerre comme les autres. En ce qui concerne les gouvernants, l'existence de ces camps n'était pas une révélation, même si l'horreur dépassait tout ce qu'ils avaient pu imaginer. Dès octobre 1941, Winston Churchill déclarait que « le châtiment de ces crimes doit être l'un des objectifs de cette guerre ». Du 18 octobre 1945 au 1er octobre 1946 s'est déroulé à Nuremberg le premier – et le seul – procès mettant en accusation devant un tribunal international de hauts responsables d'un État. Encore aujourd'hui, une étrange postérité est attachée au procès de Nuremberg, à la fois considéré comme exemplaire et sévèrement critiqué.

L'idée de punir les fauteurs de guerre date de la Grande Guerre. L'article 227 du traité de Versailles (1919) stipulait que « les puissances alliées et associées mettent en accusation publique Guillaume II de Hohenzollern, exempereur d'Allemagne, pour offense suprême contre la morale internationale et l'autorité sacrée des traités ». Un tribunal devait être constitué. On connaît la suite. La Hollande refusa de livrer le Kaiser et le procès n'eut pas lieu. Quoi qu'il en soit, l'étendue des crimes perpétrés par le IIIe Reich impliquait qu'ils ne restent pas impunis.

Au fur et à mesure que l'Allemagne nazie étend sa domination sur l'Europe, les informations parviennent aux Alliés. Churchill s'en émeut tout d'abord en 1941, puis, en octobre 1942, Londres et Washington manifestent leur volonté de créer une commission d'enquête sur les crimes de guerre. Les trois Grands aborderont cette question une nouvelle fois lors de la conférence de Téhéran, le 29 novembre 1943. Unanimes dans leur volonté de châtier les criminels de guerre, les Alliés divergent quant à la manière. Américains et Soviétiques sont partisans d'une justice expéditive, mais Churchill penche pour un cadre juridique. On s'accorde toutefois pour distinguer les criminels dont les crimes ont été commis dans un lieu déterminé – ils seront livrés à l'État intéressé, qui les fera juger d'après sa législation – et ceux dont les forfaits concernent plusieurs pays. Ce n'est qu'un an et demi plus tard que triomphe l'idée d'un grand procès. Réunies à San Francisco en juin 1945 pour la création de l'ONU, les puissances victorieuses décident finalement que les grands criminels de guerre seront traduits en justice devant un tribunal international. Entre-temps, le Comité des Nations unies contre les crimes de guerre a établi une impressionnante liste sur laquelle figurent près d'un million de noms, parmi lesquels ceux de vingt-cinq hauts dignitaires considérés comme criminels de guerre internationaux et ne pouvant être revendiqués par aucun pays.

Quatre chefs d'accusation sont retenus : plan concerté ou complot, crimes contre la paix, crimes de guerre, crimes contre l'humanité. Les Américains et les Britanniques n'ayant pas connu l'occupation, le crime contre la paix et le plan concerté doivent constituer l'essentiel de l'accusation. En revanche, Français et Soviétiques sont attachés aux crimes de guerre. Ceux-ci étant reconnus depuis la fin du xixe siècle comme passibles de châtiment, leur définition ne présente pas de difficulté. Quant au génocide, il suscite la création du quatrième chef d'accusation, les crimes contre l'humanité, qui signifient expressément « l'assassinat, l'extermination, la réduction en esclavage, la déportation, et tout autre acte inhumain commis contre toutes populations civiles [...] ou bien les persécutions pour des motifs politiques, raciaux ou religieux [...] ». Enfin, les statuts du tribunal international présentent l'originalité de prévoir l'inculpation de certaines organisations du IIIe Reich (SS, SA, Gestapo, Corps des chefs politiques, Haut Commandement des forces armées, Cabinet du Reich).

Il reste que le procès de Nuremberg continue aujourd'hui d'être critiqué pour les mêmes raisons qu'il le fut à l'époque : procès des vainqueurs, il est fondé sur une législation rétroactive. En outre, il a écarté le principe de réciprocité (Hiroshima, Dresde, Katyn...). De plus, force est de constater que l'idée d'une juridiction internationale chargée de faire respecter le droit international est restée lettre morte. Cinquante ans après, il n'existe toujours pas de cour criminelle internationale. Sans doute est-ce pour cela qu'à chaque nouvelle guerre (Algérie, Viêt Nam, Irak, ex-Yougoslavie) on évoque Nuremberg sur un mode rhétorique, entre imprécation et nostalgie.

L'année des communistes

Le triomphe politique du communisme en 1945 n'est pas exempt d'une dimension affective qui s'enracine dans le sentiment du salut – né au moment de la capitulation allemande à Stalingrad – et est constamment ravivée à chaque nouvelle offensive victorieuse. À la Libération, personne ne peut ignorer que le lourd tribut payé par les Soviétiques est sans commune mesure avec les pertes britanniques ou américaines. Conséquence la plus visible, et la plus immédiate, les partis communistes voient affluer de nouveaux adhérents, jeunes pour la plupart. La traduction électorale du dynamisme communiste ne se fait pas attendre : les scores obtenus placent les PC en acteurs incontournables de la scène politique, notamment dans les pays est-européens occupés par l'Armée rouge et dans trois autres pays, la France, l'Italie et la Finlande. La défaite de l'Allemagne et du Japon est également perçue comme la défaite du totalitarisme. Le communisme peut donc s'offrir une nouvelle virginité qu'aucune suspicion ne risque d'entacher. Le communisme sera donc un acteur à part entière dans l'extension générale du phénomène démocratique. Les PC n'ont-ils pas été tous étouffés sous la botte nazie et sous l'occupation italienne ? L'extraordinaire progression des forces communistes dès le retour à des conditions politiques normales vaut réponse. On oublie le temps du Komintern – d'ailleurs dissous en 1943 – pour ne plus se souvenir que de l'engagement de l'URSS dans le camp antinazi à l'été 1941, quitte à tirer un trait sur le pacte germano-soviétique d'août 1939.