Un tel projet se heurte aux réserves de la Fédération nationale des musulmans de France (FNMF), dirigée par des Marocains, et à celles de l'Union des organisations islamiques de France (UOIF), à majorité tunisienne. L'UOIF a organisé, fin décembre 1994, un congrès au Bourget qui a réuni environ 30 000 participants. On a insisté sur le respect des lois françaises et sur la nécessité de trouver une « représentativité dégagée par les musulmans eux-mêmes ». En septembre, l'UOIF et trois autres organisations ont voulu répliquer à la vague d'attentats par une manifestation qui n'a pu avoir lieu pour des raisons de sécurité. Une motion signée par 300 imams a condamné « la violence, le crime et la terreur » et appelé à « une France unitaire dans sa diversité ». Cependant, les événements dramatiques que connaît l'Algérie, la désocialisation de certaines banlieues et l'action de mouvements radicaux rendent la conjoncture actuelle difficile.

Les rapports entre les religions

Persistance de tensions et efforts de rapprochements ont marqué les rapports entre religions en 1995. Toujours sensible, la blessure ressentie par le judaïsme vis-à-vis du christianisme s'est trouvée ravivée par le voyage du cardinal Jean-Marie Lustiger en Israël. L'archevêque de Paris est en effet d'origine juive. Converti en 1940, il a perdu une partie de sa famille, dont sa mère, à Auschwitz. Invité par l'université de Tel-Aviv à donner une conférence sur le « silence de Dieu » pendant la Shoah, il devait, en outre, participer à la commémoration officielle de l'Holocauste le 26 avril à Jérusalem. Cette dernière invitation a été annulée sous la pression du grand rabbin ashkénaze d'Israël, Yisraël Lau. Le grand rabbin Lau dénonce la conversion du futur cardinal comme une « trahison de son peuple et de sa religion » et estime que « l'extermination spirituelle conduit comme l'extermination physique à la solution finale de la question juive ». Au-delà de la virulence des propos, il faut relever un problème important : Mgr Lustiger estime être resté juif. Pour lui, le christianisme constitue le véritable « accomplissement du judaïsme ». Cette insistance philosémite sur les racines juives du christianisme prive de sens spirituel le judaïsme actuel, considéré comme une propédeutique au christianisme. On comprend l'ampleur du désaccord. Peut-être rend-il le dialogue d'autant plus nécessaire.

Dans l'ex-Yougoslavie, la dimension religieuse du conflit actuel s'enracine dans une histoire tourmentée. Le projet de « Grande Serbie » est un rappel de la « Serbie mystique » du Moyen Âge et de la résistance à l'Empire ottoman et aux catholiques d'Autriche-Hongrie. Si, en tant que corps, l'Église orthodoxe n'a pas approuvé la « purification ethnique », certains l'accusent d'avoir cautionné la politique qui y était liée, voire d'en avoir parfois bénéficié : à Focha, ville à 90 % musulmane avant la guerre, les mosquées ont été rasées et un séminaire orthodoxe a été inauguré. Maintenant, le patriarche Pavle de Serbie saura-t-il jouer un rôle conciliateur dans les tentatives de règlement en cours ? Des orthodoxes de différents pays tentent de faire pression dans ce sens et ont créé un « Mouvement orthodoxe pour la paix ». La situation n'est cependant pas facile dans l'ensemble des Balkans. En Grèce, l'affaire macédonienne et l'évolution de la situation en Turquie contribuent à durcir l'attitude de l'orthodoxie, qui se sent appelée, comme par le passé, à défendre l'identité hellénique.

Dans le conflit tchétchène, par contre, le patriarche Alexis II de Russie a condamné vigoureusement l'intervention militaire de son pays et s'est entretenu avec le grand mufti de Tchétchénie. De son côté, le patriarche Bartholomée Ier de Constantinople, qui bénéficie au sein de l'orthodoxie d'une primauté d'honneur mais ne regroupe qu'un nombre restreint de fidèles, se montre favorable à toutes les initiatives de paix. Sa visite au pape, en juin, a été remarquée. Les deux chefs spirituels ont prié ensemble pour que les « chrétiens donnent l'exemple du pardon réciproque ». Ils ont souhaité la réunification de leurs Églises respectives.